Des années de travail pour rien : l’artiste Candice Breitz a vu son exposition dans la ville allemande de Saarbruck annulée en raison de sa position sur la guerre entre Israël et le Hamas. Elle n’est pas la seule. En Allemagne, dont les dirigeants affichent un soutien indéfectible à Israël suite à l’attaque sanglante du Hamas du 7 octobre, plusieurs événements culturels ont été annulés après que les participants ont tenu des propos jugés trop pro-palestiniens. Si les organisateurs disent ainsi vouloir lutter contre l’antisémitisme, qui a connu une recrudescence en Allemagne depuis le début du conflit, d’autres voix craignent une érosion de la liberté artistique.
Selon Candice Breitz, elle-même juive, «les institutions allemandes risquent d’éviter de plus en plus de travailler avec des artistes engagés politiquement», privilégiant plutôt des artistes «dociles et peu enclins à poser des questions critiques». «L’avenir de l’art contemporain en Allemagne pourrait ressembler au passé», a déclaré à l’AFP l’artiste, dont l’exposition annulée était une installation vidéo réalisée avec des travailleuses du sexe dans son pays natal, l’Afrique du Sud.
Si d’autres pays ont connu des annulations d’événements dans des circonstances similaires, la tendance en Allemagne a été particulièrement prononcée, dans un pays où la culpabilité pour l’Holocauste pèse lourd. L’installation de Candice Breitz devait être présentée au musée de la Sarre en 2024, avant que les organisateurs n’annoncent son annulation en novembre. Le Fonds du patrimoine culturel de la Sarre a déclaré qu’il «n’offrirait pas de plateforme aux artistes qui ne reconnaissent pas la terreur du Hamas comme une rupture civilisationnelle, ou qui brouillent consciemment ou inconsciemment les frontières entre les actes légitimes et illégitimes».
Candice Breitz a affirmé avoir condamné publiquement l’attaque du Hamas à plusieurs reprises, ainsi que la réponse «disproportionnée» d’Israël. «Je ne remets pas en cause le droit d’Israël à se défendre contre le terrorisme, mais je pense que la punition collective des civils de Gaza ne peut être la solution», a déclaré l’artiste de 51 ans.
La guerre a été déclenchée par l’attaque sans précédent lancée le 7 octobre par le Hamas sur le sol israélien, qui a fait environ 1.140 morts en Israël, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir des derniers chiffres officiels israéliens disponibles. Dans la bande de Gaza, plus de 18.800 personnes ont été tuées par les bombardements israéliens, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du Hamas. «La notion selon laquelle tout juif progressiste dans ce pays peut être soupçonné d’antisémitisme, à moins qu’il ne dénonce publiquement le Hamas, est ridicule», a ajouté l’artiste.
La personnalité littéraire russo-américaine Masha Gessen – qui se définit par le pronom neutre «iel» – est aussi affectée. Elle devait recevoir vendredi dernier le prestigieux prix Hannah Arendt pour la pensée politique. Mais après la parution d’un de ses essais dans le New Yorker, comparant la bande de Gaza aux ghettos juifs en Europe à l’époque nazie, une fondation soutenant le prix a qualifié ces commentaires d’«inacceptables» et s’est retirée de la cérémonie. Cette dernière a tout de même eu lieu un jour plus tard sur insistance des organisateurs.
Un autre prix littéraire majeur destiné à l’auteure britannique Sharon Dodua Otoo a été annulé en raison d’une pétition qu’elle avait signée il y a huit ans et qui, selon ses détracteurs, soutenait un mouvement de boycott d’Israël. la romancière a par la suite pris ses distances par rapport avec cette pétition et, comme elle le proposait, le prix de 15.000 euros a été donné à une initiative caritative.
La Berlinale de photographie, qui devait se tenir dans trois villes allemandes en 2024, a quant à elle été annulée suite à la publication de messages pro-palestiniens sur les réseaux sociaux par l’un de ses commissaires. La ministre de la culture Claudia Roth a indiqué à l’AFP que «la sécurité d’Israël est un principe fondamental» pour l’Allemagne, ajoutant que garder les espaces culturels «ouverts et sûrs pour tout le monde» était un défi mais que «nous devons essayer». L’annulation d’événements ou de prix devrait être «la dernière étape, pas la première», a-t-elle ajouté.