On l’appelle le «salon des princes». Une bien jolie pièce nichée dans l’aile gauche de la prestigieuse maison d’éducation de la Légion d’honneur, pension pour jeunes filles créée en 1805 par Napoléon Bonaparte. C’est là, en Seine-Saint-Denis, qu’Emmanuel Macron a convié mercredi les présidents de partis représentés au Parlement dans le cadre de sa «grande initiative politique». C’est aussi là, pour l’anecdote, que se réunissent habituellement les professeurs de l’établissement lors des fameux conseils de classe.

Pendant plusieurs heures, Emmanuel Macron et ses adversaires seront assis à la même table sous l’œil de l’Empereur et des grands chanceliers de la Légion d’honneur, dont les portraits trônent sur les murs de pierre. Ils vont discuter à huis clos des trois thèmes choisis par le chef de l’État: l’international, la réforme des institutions et, enfin, «comment faire nation?».

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Les portables ont été interdits, les collaborateurs seront absents. Les oppositions, bien que sceptiques quant à ce rendez-vous qu’elles soupçonnent être une pure opération de communication, se sont préparées. «Rien que le fait qu’elles ont accepté d’y participer, c’est bien joué», s’enthousiasmait avant la rencontre un proche du président.

«Il y a deux sujets essentiels: je lui demanderai un geste significatif pour le pouvoir d’achat des Français (…) et la tenue d’un grand référendum sur l’immigration», a ainsi affirmé le président du Rassemblent national, Jordan Bardella, sur BFMTV. De son côté, le patron des Républicains, Éric Ciotti, a consacré sa matinée à finir de mettre au point les thèmes qu’il comptait aborder, et appelé une dernière fois les ténors du parti, notamment les chefs de file des députés et des sénateurs LR, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, afin d’arriver «prêt».

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Lors de son introduction, Éric Ciotti avait prévu de dénoncer une «crise de la représentation démocratique», estimant le référendum comme seul outil pouvant remédier à la «crise de confiance politique» éprouvée par les Français, fait savoir un proche. Le président LR comptait également aborder des «sujets particuliers» tels que la laïcité à l’école, la sécurité, la décentralisation, la relation franco-marocaine et, bien sûr, l’immigration. Vaste programme qui a d’ailleurs fait dire au patron de la droite qu’à ce rythme il ne serait pas étonnant de «finir à 2 heures du matin».

Au Cannet (Alpes-Maritimes), à l’occasion de la rentrée des Républicains, dimanche, Éric Ciotti a voulu lancer un message à Emmanuel Macron: LR, bien que responsable, reste dans l’opposition. «Il n’y aura aucune connivence, cet après-midi», insiste son entourage.

Si Éric Ciotti a accepté l’invitation du chef de l’État, c’est «pour dire que la palabre a trop duré!». Devant les militants, il avait prévenu: «Je dirai au président de la République: si vous voulez que les choses avancent, alors prenez nos propositions. Elles sont ici, elles sont prêtes. Arrêtons de tergiverser. Agissons!» À la veille de l’arrivée du projet de loi sur l’immigration, sur lequel la droite et l’exécutif peinent à trouver un accord, voilà qui est clair. Éric Ciotti comptait par ailleurs aborder ce qui, jusqu’à présent, bloque les discussions: l’article 3 du texte gouvernemental, qui prévoit la régularisation des clandestins dans les «métiers en tension». «On entend dire depuis quelques jours que la majorité serait prête à faire un pas, glisse un proche du président LR. On a bon espoir que ça bouge.»

L’espoir, en revanche, n’est pas franchement de mise au sein de la Nupes. Les quatre représentants des partis de la gauche, Manuel Bompard (LFI), Marine Tondelier (EELV), Olivier Faure (PS) et Fabien Roussel (PCF), sont arrivés de concert à Saint-Denis. «Nous sommes convoqués sur un ordre du jour très flou, sans même savoir si le président répondra ou non», a regretté le premier secrétaire socialiste. Pas question pour autant de ne pas aller «porter (leurs) convictions» devant Emmanuel Macron. «À chaque fois qu’il sera d’accord avec nos convictions, nous serons prêts à avancer… Mais selon nos premières indications, nous n’avons pas le sentiment qu’il ait compris grand-chose.» «Si son oreille droite fonctionne bien, a jugé Faure, on a le sentiment que son oreille gauche est en panne.»

Numéro deux de LFI et député de Marseille, Manuel Bompard ne s’encombre pas de nuances. «On est là pour lui dire à quel point sa politique fait du mal au pays, a-t-il prévenu avant d’entrer dans la salle de réunion. Mais aussi pour lui apporter un certain nombre de propositions.» Quatorze d’entre elles sont portées avec EELV et le PS. La première, pour «apaiser le pays», étant de «suspendre la publication des décrets d’application de la réforme des retraites».

En désaccord, entre autres, sur la proposition pour une «réforme en profondeur de la police nationale» avec «une analyse différente de ce qui s’est passé l’été dernier» lors des émeutes, les communistes – qui vantent encore «un mix énergétique» en matière de nucléaire – ont préféré produire leurs propres propositions au chef de l’État… La Nupes, en revanche, avait refusé de concert l’idée d’un dîner avancée dans un premier temps par l’Élysée «pour ne pas partager un temps de convivialité avec Éric Ciotti ou Marine Le Pen», indique un socialiste. Le plateau-repas de travail, en revanche, devait être accepté, à condition que certains ne décident pas de quitter les lieux avant la fin de la réunion. L’hypothèse n’était pas totalement exclue à leur arrivée.