C’est un sujet dont le gouvernement se serait bien passé en cette veille de Noël. Fraîchement nommée ministre de la Santé par intérim après la démission d’Aurélien Rousseau mercredi, au lendemain de l’adoption du projet de loi immigration, Agnès Firmin Le Bodo n’a pas attendu longtemps avant de se faire remarquer. L’ancienne députée, pharmacienne de profession, est en effet visée par une enquête judiciaire ouverte en juin 2023 pour avoir reçu des cadeaux, sans les déclarer, de la part de la multinationale des produits de santé Urgo. Produits de luxe, montres et autres bouteilles de vin et magnums de champagne… Au total, la ministre aurait reçu plus de 20.000 euros de cadeaux entre 2015 et 2020, selon Mediapart, qui a révélé l’affaire jeudi soir.

Mais ces pratiques, pourtant connues, sont-elles vraiment légales ? Que dit la loi en la matière ? Il existe en effet une loi dite «anti-cadeaux» qui s’applique spécifiquement aux professionnels de santé, et interdit très clairement aux pharmaciens de recevoir des avantages de la part des industriels de la santé. Selon celle-ci, il est donc strictement «interdit d’offrir ou de promettre des avantages aux personnes produisant ou commercialisant les produits de santé listés à l’article L. 5311-1 du CSP ou pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi qu’aux personnes assurant des prestations de santé». Parmi ces produits de santé, l’on trouve des produits contraceptifs et contragestifs, des dispositifs médicaux et leurs accessoires ou encore des produits cosmétiques.

À lire aussiAgnès Firmin Le Bodo, nouvelle ministre de la Santé, visée par une enquête pour cadeaux non déclarés

«Les lois anti-cadeaux, qui concernaient essentiellement les médecins, ont été étendues aux pharmaciens dans les années 2000», explique Philippe Besset, président du principal syndicat de pharmaciens d’officines FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France). Le pharmacien «n’a pas le droit en tant que personne physique de recevoir des cadeaux», ajoute-t-il, expliquant par exemple que la pharmacie peut très bien «négocier d’avoir un frigo d’un fabricant de vaccins, mais le pharmacien n’a pas le droit d’avoir ce même frigo chez lui». «C’est une nuance un peu subtile, et malgré les rappels du conseil de l’ordre et du syndicat, visiblement les messages ne passent pas complètement bien», relève le professionnel.

De fait, tous les avantages en nature sont interdits, mais il existe quelques exceptions : soit parce que l’avantage en question n’est pas concerné par le dispositif «anti-cadeaux», c’est notamment le cas de sommes perçues «dans le cadre d’un contrat de travail, des produits de l’exploitation de droits de propriété intellectuelle relatifs à un produit de santé…», soit parce que l’avantage a été préalablement déclaré puis autorisé. Pour cela, il faut le déclarer auprès des ordres professionnels, avant qu’il ne soit rendu public sur la base de données baptisée Transparence santé gérée par le ministère de la Santé. Mais seules des sommes touchées dans le cadre d’activités de recherche ou de prestations de service (dès lors que la rémunération est proportionnée) ou autres dons destinés à financer les activités de recherche ou à destination d’associations sans rapport avec l’objet professionnel du donateur pourraient être «autorisés». Loin des bouteilles de champagne.

«Le dispositif «anti-cadeaux» vise à préserver l’indépendance des professionnels de santé», rappelle la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). L’autorité de régulation souligne qu’il s’agit avant tout «d’un impératif d’ordre sanitaire», seules des considérations de santé publique devant guider les actes de prescription et de délivrance de produits de santé. Mais il «répond aussi à un enjeu économique» selon la DGGCRF, pour qui «les pratiques opaques d’octroi d’avantages perturbent le bon fonctionnement du marché et au final alourdissent le coût des dépenses de santé pour la collectivité».

En 2021, la DGCCRF avait d’ailleurs mené une vaste enquête sur le respect du dispositif dans le secteur de la distribution de produits médicaux. À l’époque, elle avait justement permis de mettre à jour «les pratiques illégales du groupe URGO», qui avait «offert indûment à certains pharmaciens d’officine, sur l’ensemble du territoire national, plus de 55 millions d’euros de cadeaux entre 2015 et 2021». Le laboratoire avait été condamné à une amende d’un montant total de 1,125 million d’euro dans cette affaire par le tribunal de Dijon – dont 625.000 avec sursis – accompagnée de saisies pénales de plus de 5,4 millions d’euros. En janvier dernier, la DGCCRF expliquait poursuivre son enquête «auprès des pharmaciens impliqués».