«Il ne faudrait vraiment pas qu’il neige, en plus.» En milieu de semaine, l’heure était à la fébrilité chez les petits commerçants et dans les grandes surfaces françaises. À quelques heures du réveillon du 24 décembre, les magasins seront encore sur le pied de guerre ce week-end, pour accueillir les retardataires venus acheter leurs derniers cadeaux ou terminer les préparatifs des menus de Noël. Selon un sondage OpinionWay pour Wise, les Français sont ainsi 46% à attendre le dernier week-end pour achever leurs emplettes de fin d’année. Le 25 décembre tombant un lundi, et les vacances démarrant pour toute la France tardivement ce vendredi 22, les commerces s’attendent ces samedi, dimanche et lundi à trois jours de forte fréquentation.
Mais si la météo s’annonce finalement favorable pour ce dernier rush, l’incertitude n’en demeure pas moins forte. Car depuis le début de la saison festive mi-novembre, l’heure est à la sobriété dans les petits commerces et les grandes surfaces, ou sur les étals des poissonniers. Selon les dernières données de panélistes disponibles au 17 décembre, les ventes de produits festifs sont particulièrement à la peine. Ainsi, entre mi-novembre et mi-décembre, les volumes écoulés de champagne reculaient de plus de 17% par rapport à la même période de l’an dernier, selon le panéliste Circana. La chute atteignait 13% pour le foie gras, et jusqu’à 22% pour celui en conserve ou pour le saumon fumé, habituelles stars des entrées.
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«Attention, n’oublions pas que pour le foie gras, il y a toujours un problème de disponibilité après le fort épisode de grippe aviaire de l’hiver 2022 qui nous a contraints à piocher dans les stocks, décrypte Jacques Trottier, PDG de Labeyrie Fine Foods (Labeyrie, Blini, Delpierre…). Il y a encore des produits en rayon, mais cela pourrait être plus compliqué après le réveillon du 24. Pour tenter de satisfaire toutes les bourses, le groupe (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires) a élargi son éventail d’offres, allant de 2 à 14 tranches sur le saumon fumé par paquet pour permettre aux plus petits budgets de se faire plaisir dès 5 euros. Ou en proposant des apéritifs de foie gras plus abordable que les classiques blocs entiers.
Après deux ans d’inflation, et malgré une traditionnelle propension à préserver les plaisirs de fin d’année, les Français semblent cette fois faire preuve de retenue dans les dépenses. Que ce soit pour les achats de jouets (- 6,5% depuis le début de l’année au 10 décembre, sur un an) mais aussi et surtout pour les agapes. Aux mets traditionnels, ils privilégient désormais d’autres produits festifs, moins onéreux, comme les vins effervescents ( 2% selon Nielsen IQ), les crémants, les pâtés, les truites fumées ( 10%),ou les chips.
Côté sucré, le chocolat, touché par la forte hausse des prix du cacao, voit aussi ses ventes en volumes sur un an reculer de 10 % depuis le début de la saison, au profit des petites confiseries dont les achats restent constants. Cependant, une éclaircie se dessine ces derniers jours, notamment pour les chocolats pour enfants. «Les chiffres de début de semaine sont enfin excellents, souffle Nicolas Neykov, directeur général de la filiale française de Ferrero (Kinder, Ferrero, Raffaello…), qui réalise 25% de ses ventes festives lors des 15 derniers jours de l’année. Il est difficile de dire si l’on pourra rattraper le retard, mais on voit que les promotions sont très recherchées, et que le marché de l’enfant se porte mieux. Surtout, à côté des certaines marques de distributeurs qui marchent bien, les grandes marques comme les nôtres jouent bien leur rôle de valeur refuge.»
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La volonté de ne pas se laisser abattre domine aussi chez les mareyeurs, où malgré des prix en baisse de 10% pour les coquilles Saint-Jacques ou les huîtres, les achats peinent à démarrer. Conchyliculteurs et mareyeurs comptent ainsi sur le réveillon du 31 pour retrouver une dynamique. «Depuis plusieurs semaines, on voit que les consommateurs se serrent la ceinture, explique Philippe Le Gal, président du Comité national de la conchyliculture (CNC). Ils se limitent à six huîtres, là où ils en prenaient douze avant.» «Mais les jeux ne sont pas faits, tente de rassurer Laurent Chiron à la tête de la filière Marennes Oléron (une huître consommée sur quatre en France). Si l’on arrive à faire plaisir au client avec un bon produit à prix accessible, il reviendra acheter une bourriche pour le 31. Quand on sait que la majorité des gens n’achète des huîtres qu’une fois par an, cela peut finalement faire décoller les ventes.»
Au final, seuls quelques produits souffrent moins: les fromages et produits apéritifs (respectivement – 3% et – 3,9% sur la période), les sodas (- 1,4%) ou les alcools (- 4%) servant de base aux cocktails (gin, vodka ou tequila).
Malgré ces tendances «inquiétantes», selon Juliette Fabre, experte de la grande consommation chez Circana, certains espèrent que le calendrier tardif des vacances scolaires permette une remontada de dernière minute en rayon. La première semaine de janvier étant encore une semaine de congé pour les enfants, il y a potentiellementtrois semaines d’achats de réveillons en vue. Les repas de fêtes pourront s’étaler du 22 décembre jusqu’au 7 janvier. Soit trois week-ends de réunions familiales ou amicales. «C’est une configuration inédite, juge ainsi Jacques Trottier chez Labeyrie. Industriellement, nous sommes en tout cas prêts à répondre à toutes les nouvelles commandes qui viendraient des magasins cette première semaine de janvier.»
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Enfin, les nouvelles habitudes de consommation pourraient aussi se révéler une aubaine pour certains fabricants. Comme chez la PME gersoise Ducs de Gascogne (20 millions d’euros de chiffre d’affaires) qui explique que si la tendance est bien à l’achat de plus petites quantités de leurs foies gras et terrines, cela ne l’empêche pas de faire croître ses ventes. Notamment en séduisant de nouveaux clients avec des paniers plus petits, mais plus nombreux. «Pour ces coffrets gourmands, la taille des coffrets achetés diminue mais les volumes sont en augmentation. Donc au final le marché est en légère croissance», conclut Alain Locqueneux, directeur général du groupe. La vraie magie business de Noël.