La trêve des confiseurs est rarement de tout repos à Hollywood ; elle marque plutôt la dernière ligne droite dans la course aux Oscars, à quelques semaines de la publication des films et artistes en lice. Déjà, les premiers trophées des cercles critiques sont tombés. Mais aucune des cérémonies précurseurs des Oscars -notamment celles organisées par les guildes des acteurs, des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs qui recoupent le corps électoral des Oscars- n’ont encore rendu leur liste de nommés. Favoris comme outsiders peuvent encore espérer récolter une pluie de nominations aux Oscars le 23 janvier. Et être en lice pour empocher une statuette le 10 mars.
La période est donc la plus propice au jeu des paris et des pronostics. Dans cet exercice de divination existent deux écoles : celle du coup de cœur arty (prônée par les experts du Los Angeles Times) et celle de la statistique (en fonction des distinctions déjà obtenues en festival et du box-office), adoptée par Hollywood Reporter et Variety. En recoupant leurs classements respectifs, voici les longs-métrages qui peuvent espérer ajouter «Oscar nominee» sur leur affiche dès le 23 janvier.
1. Oppenheimer (Universal)2. Barbie (Warner Bros.)3. Killers of the Flower Moon (Apple)4. American Fiction (Amazon/MGM)5. Winter Break (Focus) ou Sans nous connaître (Searchlight)6. Pauvres Créatures (Searchlight)7. Maestro (Netflix)8. Past Lives -Nos vies d’avant (A24)9. Anatomie d’une chute (Neon)10. The Zone of Interest (A24)
Le haut du classement fait l’unanimité. On y retrouve les champions du box-office estival : «Barbenheimer» et la grande fresque tragique américaine de Martin Scorsese. En embuscade, se trouve la satire horrifique Pauvres Créatures de Yorgos Lanthimos, grand vainqueur de la Mostra. Sensation du Festival de Toronto, American Fiction, portrait d’un écrivain afro-américain en butte aux préjugés du monde de l’édition, est souvent mentionné. Tout comme la perle intimiste de Sundance Past Lives – Nos vies d’avant, récit des retrouvailles platoniques entre deux amoureux d’enfance. Les chocs de Cannes, la palme d’or Anatomie d’une chute et son challenger le grand prix du jury La Zone d’intérêt sur la Shoah, ferment la marche. Moins convaincu par les mésaventures de laissés-pour-compte du pensionnat de Winter Break et le biopic Maestro, le Los Angeles Times se range derrière de la romance LGBT déchirante Sans nous connaître, où deux voisins de palier londoniens hantés par la solitude et le deuil font connaissance et assistent à un phénomène qui défie l’entendement.
1. Christopher Nolan (Oppenheimer)2. Greta Gerwig (Barbie) 3. Martin Scorsese (Tueurs de la Lune des Fleurs)4. Yorgos Lanthimos (Pauvres créatures)5. Jonathan Glazer (La zone d’intérêt)
Toutes les publications s’accordent sur ce quinté de tête. S’il fallait une grosse surprise pour bousculer l’ordre établi, elle serait à chercher du côté de l’imagination de Bradley Cooper à la baguette de Maestro, de la poésie rétro d’Alexander Payne (Winter Break). Justine Triet (Anatomie d’une chute) et Céline Song (Nos vies d’avant) qui permettraient à Greta Gerwig de ne pas être l’unique femme de la catégorie, sont pour l’instant de lointaines menaces. Tout comme les talentueux, mais clivants, Todd Haynes (May December) et Emerald Fennell (Saltburn).
1. Cillian Murphy (Oppenheimer)2. Bradley Cooper (Maestro)3. Jeffrey Wright (fiction américaine)4. Leonardo DiCaprio (Les Tueurs de la Lune des Fleurs)5. Paul Giamatti (Winter Break) ou Andrew Scott (Sans nous connaître)
Si le nom des quatre premiers nommés ne fait pas débat, celui qui fermera la marche est plus incertain. Les votants choisiront-ils l’expérimenté mais souvent éclipsé Paul Giamatti, formidable professeur bougon et solitaire de Winter Break ou l’aquilin Andrew Scott? Révélé par les séries culte Sherlock et Fleabag, le Britannique trouve avec Sans nous connaître son premier grand rôle principal sur grand écran.
Réservoir à surprises, cette cinquième place ne serait pas non plus volée si elle était occupée par le vénéneux intrus de la satire sensuelle Saltburn, Barry Keoghan, le gamin perdu des Banshees d’Inisherin, ou Colman Domingo qui incarne le militant des droits civiques Bayard Rustin dans le film du même nom pour Netflix.
1. Emma Stone (Pauvres Créatures)2. Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon)3. Margot Robbie (Barbie) 4. Carey Mulligan (Maestro) 5. Sandra Hüller (Anatomie d’une chute) ou Annette Bening (Insubmersible) ou Greta Lee (Past Lives-Nos vies d’avant)
La catégorie la plus disputée de ces Oscars 2024 avec un trio infernal et prodigieux : Margot Robbie en poupée Barbie effrayée par la mort, Lily Gladstone qui serait la première comédienne amérindienne à être distinguée ou Emma Stone en créature de Frankenstein découvrant les plaisirs de la chair et se mettant à nu (au propre comme au figuré). Epoustouflante d’ambiguïté dans Anatomie d’une chute, Sandra Hüller va devoir jouer des coudes face aux métamorphoses et performances physiques -comme en raffolent les Oscars- d’Annette Bening en nageuse de l’extrême et de Carey Mulligan, muse et femme bafouée .
S’ils voulaient faire preuve d’audace, les membres de l’Académie des Oscars pourraient plébisciter la discrète Greta Lee, touchante quadra coréenne établie à New York rembobinant son existence dans Past Lives-Nos vies d’avant. À moins qu’ils ne succombent au numéro de charme et d’hybris de Natalie Portman dans May December.
1. Ryan Gosling (Barbie)2. Robert Downey Jr. (Oppenheimer)3. Mark Ruffalo (Pauvres Créatures)4. Charles Melton (mai décembre)5. Robert de Niro (Les tueurs de la lune fleurie)
Pendant tout l’été, cette catégorie semblait se résumer à un duel entre le décérébré Ken, incarné par un Ryan Gosling buvant le calice du ridicule jusqu’à la lie, et le sournois secrétaire du commerce Lewis Strauss, ennemi juré d’Oppenheimer sous les traits duquel Robert Downey Jr. rappelait qu’il pouvait jouer autre chose que les Iron Man. La course s’est depuis compliquée avec l’entrée en lice du jeune Charles Melton, objet des désirs de Julianne Moore et Natalie Portman dans May December, portrait d’une actrice toxique. En jeune homme réalisant que sa jeunesse lui a été volée, l’acteur découvert dans la série soap Riverdale est majestueux.
Si les votants résistaient au cabotinage de Robert de Niro et de Willem Dafoe (Pauvres Créatures), ils seraient inspirés de mettre en avant un autre jeune premier : Dominic Sessa de Winter Break.
1. Danielle Brooks (La Couleur pourpre)2. Da’Vine Joy Randolph (Winter Break)3. Jodie Foster (Insubmersible)4. Emily Blunt (Oppenheimer)5. Julianne Moore (May December) ou Sandra Hüller (La Zone d’intérêt)
Cette catégorie semble la mieux placée pour honorée la comédie musicale et remake de La Couleur pourpre. Sandra Hüller peut espérer que sa performance glaçante de femme d’officier SS habitant à Auschwitz qui ferme les yeux et les oreilles devant la Solution finale lui permette d’attirer des voix supplémentaires dans la section actrice principale où elle est en lice pour Anatomie d’une chute. La surprise pourrait venir de Rosamund Pike, élégante aristo déconnectée des réalités et dénuée de la moindre empathie dans Saltburn.
1. Barbie (Noé Baumbach
Tout le monde est sur la même longueur d’ondes pour cette section paritaire qui constitue peut-être la chance de statuette la plus réaliste pour la palme d’or française. Seuls May December (Samy Burch
1. Oppenheimer (Christopher Nolan)2. Pauvres Créatures (Tony McNamara)3. Tueurs de la Lune des Fleurs (Eric Roth
La catégorie où Christopher Nolan a sans doute le moins de risque de se faire snober et voler le trophée, le 10 mars prochain.
1. La Zone d’intérêt (Royaume-Uni)2. Le Cercle des neiges (Espagne)3. La Passion de Dodin Bouffant (France)4. Les Filles d’Olfa (Tunisie)5. La Salle des profs (Allemagne) ou Les Feuilles mortes (Finlande)
L’honneur et la réputation d’impartialité du CNC sont en jeu. Si La Passion de Dodin Bouffant que l’institution a préféré à Anatomie d’une chute échoue à attraper une nomination, le désaveu sera terrible et les soupçons de mesquinerie et de vengeance politique à l’égard du CNC renforcés. La Passion de Dodin Bouffant a pour lui deux atouts de taille pour séduire outre-Atlantique : l’aura de la gastronomie tricolore et Juliette Binoche. Oscarisée pour Le Patient anglais il y a deux décennies, la comédienne poursuit ses incursions à Hollywood et mène une active campagne pour le film de Tran Anh Hung.
1. Spider-Man: Across the Spider-Verse (Sony)2. Le Garçon et le Héron (GKIDS)3. Elementaire (Pixar) 4. Nimona (Netflix)5. The Super Mario Bros. Movie (Illumination) ou Chicken Run 2: La menace Nuggets (Netflix)
Difficile de départager l’explosive beauté des dessins de la nouvelle aventure de l’homme araignée et la poésie de la fable de Hayao Miyazaki. Plombé par le médiocre Wish, Disney devra passer son tour et se consoler avec une sélection d’Elementaire, de la filiale Pixar.
1. Pourquoi étais-je fait ? (Barbie), Billie Eilish
Qui pourrait dérober la statuette au blockbuster rose bonbon de Greta Gerwig, dont la bande originale continue de faire danser la planète ? L’Académie saura-t-elle résister à la tentation de nommer l’hymne I’m just Ken juste pour avoir Ryan Gosling sur scène interprétant ce tube parodique ? Dans une année riche en comédies musicales (Wonka, La Couleur pourpre), l’ironie est de n’en voir percer aucune dans cette catégorie cousue main.