C’est une nouvelle ère qui commence pour l’armée américaine. Fin décembre vient d’entrer en vigueur une réforme qui enlève au haut commandement l’autorité d’enquêter et de décider ou pas d’engager des poursuites contre un soldat accusé d’agression sexuelle, de viol ou de meurtre. Désormais, ce seront des avocats militaires indépendants -et non plus les hauts gradés qui seront en charge de ces dossiers, dans le but d’assurer une procédure plus équitable. «C’est la plus importante réforme de notre système judiciaire militaire» depuis 1950, a déclaré Lloyd Austin, le ministre de la Défense.
Depuis plus de 15 ans, l’armée est confrontée à une épidémie d’agressions sexuelles. Les incidents ont augmenté l’an dernier de 13% dans la Marine, de 9% dans l’armée de l’air et de 3,6% dans le corps des marines, selon le rapport annuel du Pentagone. Ils ont baissé en revanche de 9% dans l’armée de Terre après une explosion en 2021. Au total, on a recensé 8 942 plaintes en 2022, une légère hausse par rapport aux 8 866 de 2021. Mais le nombre est sans doute bien plus élevé. Selon un sondage anonyme réalisé régulièrement par le Pentagone, 36 000 membres des forces armées disaient avoir subi en 2022 une forme d’abus sexuel, une hausse astronomique de plus de 75% par rapport à 2018.
Jusqu’ici, un grand nombre d’agresseurs ont échappé à la prison et même aux poursuites. La faute au système judiciaire. La décision d’ouvrir une enquête et de lancer une action en justice était laissée à l’appréciation du commandement militaire qui souvent ne prenait pas au sérieux la plainte ou protégeait l’accusé. Sur les 6 236 plaintes déposées en 2019 par exemple, seules 255 ont abouti à un procès et 156 à une condamnation. Encore plus grave, 38% des soldates ont été par la suite pénalisées dans leur carrière pour avoir osé porter plainte, selon le même sondage du Pentagone.
L’armée américaine a résisté farouchement pendant des années à toute réforme ce qui n’a pas facilité ses problèmes de recrutement. Sous la pression croissante du Congrès et de l’administration Biden, elle a fini par accepter cette loi votée en 2022 qui impose un nouveau système judiciaire. Le meurtre en 2020 de Vanessa Guillén a contribué également à l’évolution des esprits. Cette soldate de l’armée de Terre de 20 ans s’était plainte de harcèlement sur une base du Texas auprès de ses supérieurs qui n’ont rien fait. Elle a été tuée à coups de marteau par un de ses camarades qui a ensuite démembré et brûlé son corps
La loi va-t-elle réellement avoir un impact et augmenter les poursuites? Nul ne le sait. Pour certains experts, elle ne va pas assez loin. «Compte tenu du relativement faible nombre de cas de cour martiale, pourquoi ne pas laisser les professionnels du ministère de la justice se charger de ces affaires, comme ils s’occupent de tous les crimes fédéraux? La qualité de la Justice militaire reste inférieure», a estimé surX (anciennement Twitter) Rachel VanLandingham, professeur de Droit à Southwestern Law School et ancien juge de l’armée de l’air. Le Pentagone bien conscient que la réforme ne va pas transformer du jour au lendemain la culture maison travaille en parallèle à établir une force de prévention de plus de 2000 personnes contre les abus sexuels.