Emmanuel Macron a-t-il eu raison de monter au créneau, aussi vite et aussi fort, pour défendre l’honneur de Gérard Depardieu ? Deux sondages publiés coup sur coup montrent que les Français ne le suivent pas dans sa dénonciation d’une «chasse à l’homme» après la diffusion du Complément d’enquête consacré à l’acteur.

Dans une étude Elabe pour BFM diffusée mercredi, 50% des personnes interrogées estiment que le président de la République «a trop soutenu Gérard Depardieu», tandis que 22% jugent que ses propos étaient «équilibrés» et 28% se déclarent sans avis. Selon un sondage Cluster17 pour Le Point, moins d’une personne interrogée sur trois (31%) se déclare d’accord avec Emmanuel Macron dans l’affaire Depardieu.

Contrairement à l’idée d’une césure entre jeunes et moins jeunes sur ces questions, le regard critique porté sur la sortie du chef de l’État traverse quasi uniformément toutes les générations. 50% des 18-24 ans considèrent que Macron a trop soutenu Depardieu, mais aussi 53% des 25-34 ans, 49% des 50-64 ans ou 51% des plus de 65 ans, selon l’étude Elabe. Constat à peu près similaire dans l’étude Cluster17 : Emmanuel Macron ne convint majoritairement aucune catégorie d’âge et leurs résultats montrent même que deux tiers des 75 ans et plus rejettent la prise de position du président.

Au regard des préférences partisanes des personnes interrogées, Emmanuel Macron n’a même pas convaincu pleinement ses électeurs. Selon Elabe, 43% des partisans de la majorité estiment que ses propos étaient équilibrés, contre 42% qui jugent qu’il est allé trop loin. Les plus critiques restent les électeurs de gauche qui condamnent à 65% son soutien à Depardieu, contre 48% des électeurs du RN et 37% de ceux de LR. Dans l’étude du Point, la part des sondés qui jugent que l’acteur est victime d’une «chasse à l’homme», selon l’expression d’Emmanuel Macron, passe de 11% chez les personnes qui se disent «très à gauche» à 59% chez ceux qui se revendiquent «très à droite». Plus ennuyeux pour le président de la République, seuls 28% des sondés déclarés «centristes» partagent son avis.

Elabe a également soumis des extraits de différentes tribunes publiées ces derniers jours, dont celle en faveur de Depardieu publiée dans Le Figaro. Les signataires de ce dernier texte estiment que «lorsqu’on s’en prend ainsi à Gérard Depardieu, c’est l’art que l’on attaque. Par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays». «Le cinéma et le théâtre ne peuvent se passer de sa personnalité unique et hors norme. Se priver de cet immense acteur serait un drame, une défaite. La mort de l’art», écrivent-ils encore. Cette présentation de l’affaire Depardieu est rejetée à 81% par les personnes interrogées, 33% se disant pas vraiment d’accord et 48 pas du tout d’accord.

A l’inverse, les personnes interrogées se reconnaissent massivement dans les extraits de la contre-tribune publiée le 29 décembre sur le site Cerveaux non disponibles et paraphé par 8000 personnes parmi lesquelles figurent la chanteuse Pomme, l’actrice Corinne Masiero, l’humoriste Guillaume Meurice, la militante Rokhaya Diallo ou encore le rappeur Médine. Trois personnes interrogées sur quatre (75%) se disent d’accord avec l’extrait «Que la justice fasse son travail. Mais nous devons également faire le nôtre. Celui de soutenir les victimes et de ne pas laisser tranquilles des agresseurs, des violeurs, des oppresseurs. Qu’ils ne puissent plus penser qu’ils peuvent agir en toute impunité, et parfois même en étant récompensés et glorifiés. » 58% partagent l’idée que la tribune de soutien à Depardieu et la défense d’Emmanuel Macron «sont autant de crachats à la figure des victimes de Gérard Depardieu mais aussi de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles». «C’est l’illustration sinistre et parfaite du monde d’avant qui refuse que les choses changent.»

Avant la prise de parole d’Emmanuel Macron sur le sujet dans «C à vous», le 20 décembre, seule la ministre de la Culture Rima Abdul Malak avait pris position, dénonçant «les propos absolument choquants» du comédien, une attitude «assez irrespectueuse et indigne». Selon elle, Gérard Depardieu fait même «honte à la France». Mal lui en avait pris ; elle s’était vu publiquement rabrouer par Emmanuel Macron. Ces sondages changent-ils la donne et vont-ils infléchir la position du chef de l’État ? L’Élysée n’est pas revenu sur la question alors que la tempête Depardieu bat son plein. Mais, curieusement, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran y est allé de son commentaire jeudi matin, en dépit des mises en garde du président. Les propos de Gérard Depardieu «me choquent», a-t-il expliqué sur BFMTV. «Je suis choqué par les propos que j’ai vus, que je trouve nuls, a-t-il ajouté en précisant, tout de même que «c’est à la justice de définir les choses».