Zagallo. Son nom balaie plus de cinquante ans de l’histoire du football brésilien. Aussi loin que ses souvenirs le portaient, ils collaient invariablement à la Seleçao. Pour des matches suivis avec passion, avant de les animer de courses réfléchies et de dribbles subtils, puis de les diriger de main de maître. Mario Zagallo était le sculpteur du  »joga bonito » (beau jeu). « Je lui dois beaucoup. Peut-être que 50% de ce que j’ai fait étaient l’œuvre de Zagallo », a un jour dit Pelé. « J’ai eu beaucoup de bons entraîneurs mais Zagallo était vraiment le meilleur », a résumé Ronaldo sur le site de la Fédération internationale. Hospitalisé à Rio de Janeiro mi-août pour une infection urinaire, Mario Zagallo est décédé ce vendredi, à 92 ans à Rio de Janeiro. Après une vie dédiée au football. Et le maillot vert et or porté avec foi, comme une seconde peau.

En 1950, Mario Zagallo participe durant son service militaire à la sécurité du tout nouveau Maracana qu’il a vu se construire depuis son quartier de Tijuca. Il assiste pétrifié, puis bouleversé au milieu de 173.000 spectateurs à la défaite du Brésil en finale de la Coupe du monde contre l’Uruguay. La fête qui a tourné au drame, s’inscrit comme la tragédie du Maracana dans la mémoire collective brésilienne. Mario Zagallo (« Petite fourmi »), participera à la rédemption. En mai 1958, il inscrit deux buts lors de sa première sélection contre le Paraguay, sa prestation lui ouvre la porte de la Coupe du monde. Il participe à tous les matches de la Seleçao lauréate de sa première Coupe du monde, en 1958 (inscrit un but en finale contre la Suède), portée par un phénomène nommé Pelé. Encore sacré en 1962 au Chili (aux côtés de Garrincha, Vava, Amarildo et Didi), Zagallo a tout au long de sa vie, tissé une histoire particulière avec l’épreuve phare du football.

Joueur (de l’America à Botafogo, en passant par Flamengo), ailier gauche vif, très impliqué dans le repli et les tâches défensives, Mario Zagallo (31 sélections en équipe nationale, 5 buts) était le périscope du Brésil. Sans esbroufe. Efficace. Indispensable. Au service du jeu et des autres. Dans l’ombre des Pelé, Garrincha, Jairzinho, Carlos Alberto, Gilmar, Vava ou Didi, sans en souffrir. Mais à 35 ans, son sens tactique le posera sur le devant de la scène quand le stratège trouvera un terrain d’expression idéal en embrassant la carrière d’entraîneur (à Botafogo) qui va lui faire changer de dimension parce que le succès est immédiat.

Quelques mois avant le Mondial 1970, il hérite de la Seleçao. Joao Saldanha qui n’a plus les faveurs du gouvernement militaire brésilien est démis de ses fonctions. Zagallo est envoyé en mission. L’homme affable à la ferveur souvent portée à ébullition retrouve la Coupe du monde. À un poste exposé, sujet aux critiques les plus virulentes (« Pas d’alternative à la victoire pour le sélectionneur national : 150 millions de Brésiliens maintiennent la pression sur Zagalo », comme le résuma le New York Yimes). Mario Zagallo a résisté et construit sa légende. Celle d’un entraîneur capable d’unir la passion des Brésiliens et la quête des plus grands titres. Il va signer son chef-d’œuvre. Une symphonie sans fausse note au Mexique lors de la plus belle des Coupes du monde. La première en couleurs, la première diffusée en direct. Vainqueur pour la troisième fois, le Brésil remporte définitivement la Coupe Jules Rimet et s’inscrit comme la plus belle des équipes. Une équipe de rêve (avec quatre numéros 10, Pelé, Tostao, Gerson, Rivelino) vingt-deux ans avant la « Dream team » américaine électrisant les JO de Barcelone avec les basketteurs de génie Magic Johnson et Michael Jordan. Le Brésil redoutait pourtant, quelques heures avant la compétition, un fiasco comparable à la Coupe du monde 1966 (élimination au 1er tour). La magie opérera. Traversera les années. « Une trace pour toujours », titrera le quotidien brésilien A Tarde. « J’ai complètement transformé la Seleçao. Cette équipe restera à jamais dans les mémoires », dira Zagallo, sélectionneur d’un Brésil qui a enchanté la planète football (6 matches, 6 victoires, 19 buts inscrits durant la compétition, une finale de rêve, orchestrée par Pelé, remportée 4-1 contre l’Italie). « L’équipe de 1958 est la plus forte dans laquelle j’aie jamais joué, et celle de 1970 la plus forte que j’ai eue à entraîner. Je crois qu’elles avaient deux points communs : la victoire et leur faculté à enchanter, à émerveiller », résuma Mario Zagallo. Le technicien brésilien s’invitait comme le premier à avoir remporté la Coupe du monde en tant que joueur et entraîneur. Franz Beckenbauer (1974 et 1990), puis Didier Deschamps (1998 et 2018) le rejoindraient.

En 1994, « le professeur » est encore le coordinateur sportif de la sélection brésilienne lors du sacre de Romario et Bebeto aux États-Unis (« Tu nous as appris à aimer le jaune, la couleur du Brésil. Tu as toujours défendu notre pays, sur et hors du terrain. Tu es un exemple pour nous tous », résumera, ému, Dunga, le capitaine), avant la finale perdue en 1998 contre les Bleus d’Aimé Jacquet.

La finale était encore chaude ce 12 juillet 1998 dans le Stade de France quand Aimé Jacquet avait pris grand soin à saluer son homologue : « C´est le plus grand entraîneur du monde. Il me faudrait deux vies entières pour espérer égaler son palmarès. Je l´ai admiré en tant que joueur, puis entraîneur. Je souhaite qu´il ne m´en veuille pas de l´avoir battu. » « Je voulais rentrer chez moi après avoir défilé sur les Champs-Élysées en passant par l´Arc de Triomphe. Mais l´Arc du Triomphe est à vous », avait répondu, touché, l’homme vaincu, fair-play qui semblait frêle dans son survêtement.

Il exportera son expérience. Au Koweït, en Arabie saoudite. Avant de toujours revenir au point de départ. Sa raison de vivre, la Selaçao. Comme un aimant. Contre vents et marées. Le Brésil a formé, chanté et célébré de nombreux joueurs plus talentueux, plus spectaculaires que Zagallo mais a toujours éprouvé un respect profond pour cet être entier, dévoué qui a su se faire une place de choix dans l’histoire de la Selaçao en se forgeant un palmarès unique.