Elle est amérindienne, sourde et amputée d’une jambe: la nouvelle super-héroïne Marvel mise sur son profil atypique pour relancer une franchise en perte de vitesse chez Disney, au moment même où son patron semble vouloir s’extirper du front des guerres culturelles américaines.
La série Echo, qui a débuté mardi 9 janvier sur les plateformes de streaming Disney et Hulu, suit les aventures de Maya Lopez, une ex-criminelle de New York qui redécouvre ses racines amérindiennes dans sa ville natale d’Oklahoma. Un pitch qui tombe dans un moment délicat, tant pour l’univers Marvel que pour son propriétaire, Disney. Le grand public témoigne d’une certaine lassitude envers la franchise de super-héros, dont les chiffres d’audience s’érodent, tandis que la firme aux grandes oreilles est devenue un punching-ball pour la droite américaine, particulièrement en période de campagne présidentielle.
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À l’instar du gouverneur de Floride Ron DeSantis, prétendant à la Maison Blanche, les républicains lui font un procès en «wokisme» à cause de ses personnages homosexuels ou non binaires, comme dans Buzz l’éclair ou Élémentaire. Disney vient également de perdre son titre de studio au plus gros chiffre d’affaires d’Hollywood, devancé l’an dernier par Universal. Une première depuis 2016.
En novembre, le patron de Disney, Bob Iger, a semblé suggérer à ses équipes créatives d’amorcer un virage. Plutôt que de privilégier les symboles et les «messages positifs», il a martelé sa volonté de «retourner à nos racines, c’est-à-dire se rappeler que nous devons d’abord divertir».
Avec ses nombreux dialogues en langue des signes, sous-titrés, et son développement en collaboration avec le peuple Chacta, Echo revendique toutefois son inclusivité. Les créateurs ont notamment voulu s’assurer de l’authenticité d’une scène de rassemblement sportif, située dans l’Amérique d’avant les colons européens. «Je suis tellement fière de pouvoir (…) faire entendre la voix des peuples autochtones», a confié la vedette de la série, Alaqua Cox, lors d’une récente conférence de presse.
La série consacre l’avènement d’une tendance au sein de l’univers Marvel. Si la franchise de super-héros tirés des «comic books» américains a débuté au cinéma en 2008 avec Iron Man, ll a fallu attendre Black Panther , le 18e film, pour montrer les aventures d’un protagoniste autre que blanc. Depuis, l’univers a considérablement diversifié ses personnages, tandis qu’en parallèle, les recettes au box-office ont décliné. Mais rien n’indique que ces deux phénomènes soient liés, selon Bethany Lacina, qui a étudié la démographie du public de la franchise.
«Les personnes non blanches sont plus susceptibles de regarder les films Marvel que les personnes blanches. En particulier les Afro-Américains et les Latinos», explique cette professeure adjointe à l’université de Rochester. La plus grande inclusivité des castings Disney «rapproche leurs films de ce qu’a toujours été leur public», note-t-elle, d’autant plus que les jeunes Américains sont de plus en plus divers.
Pour l’universitaire, le récent discours de M. Iger traduit peut-être une «frustration» que les efforts de diversité de Disney à l’écran n’aient pas attiré une déferlante de spectateurs venus de nouveaux horizons. Mais l’inclusivité prônée par Marvel n’a provoqué aucun «retour de bâton» de la part des spectateurs blancs, estime-t-elle. Ils se sont d’ailleurs rués sur Black Panther, un film au casting majoritairement Afro-Américain, nominé aux Oscars et toujours loué par le patron de Disney pour son «impact positif sur le monde».
Selon Nick Carnes, co-auteur d’un livre sur l’univers Marvel, la diversification des super-héros de la franchise découle à la fois d’une stratégie commerciale et de l’histoire des bandes dessinées dont les films s’inspirent. «Si l’on considère les héros historiques, les personnages les plus anciens qui suscitent la nostalgie de générations entières, on constate qu’ils sont, de manière disproportionnée, blancs et masculins», observe ce professeur de l’université Duke.
Dans cette perspective, le projet de Disney consiste à «prendre des gens qui aiment l’histoire d’Iron Man ou de Spider-Man et à les exposer à des personnages différents» pour élargir son public. Plus que des divisions culturelles fracturant les États-Unis, le succès ou l’échec d’Echo dépendra de la qualité de sa narration, estime-t-il. «En fin de compte, nous sommes tous des êtres humains», a rappelé Chaske Spencer, un acteur amérindien qui campe l’un des seconds rôles de la série. «Il s’agit avant tout d’émotion, ce que nous pouvons tous ressentir.»