À peine nommé à Matignon que sa position est remise en question. Quelques heures après l’annonce de l’arrivée de Gabriel Attal à la tête du gouvernement, plusieurs voix se sont élevées à gauche pour réclamer la sollicitation par le nouveau premier ministre d’un vote de confiance des parlementaires.
«S’il n’y a pas de vote de confiance, nous déposerons une motion de censure, c’est le Parlement qui doit valider le nom du premier ministre et c’est le cas dans toutes les démocraties», a avancé Manon Aubry, eurodéputée La France Insoumise au micro de Sud Radio le 9 janvier, alors que sur BFMTV, le coordinateur de la France Insoumise Manuel Bompard présentait cette procédure comme un passage obligé de «toutes les démocraties parlementaires du monde». En France, le nouveau locataire de Matignon n’est cependant pas systématiquement obligé de se prêter à un tel exercice. Notre pays ferait-il alors figure d’exception française concernant la validation de la composition du gouvernement par le Parlement ?
«Le vote de confiance est un principe inhérent au régime parlementaire», explique Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers, où «en principe, le gouvernement est l’émanation de la première chambre» élue au suffrage universel direct. Dans ces types de régimes, essentiellement représentés chez nos voisins européens, ce vote consiste pour les députés à accorder ou non leur confiance au gouvernement en place. En Espagne par exemple, c’est le roi qui propose un candidat à la présidence du gouvernement, après avoir consulté les représentants des partis politiques ayant obtenu une représentation parlementaire. Les députés votent l’investiture au candidat présenté : s’il recueille la majorité absolue, il est investi ; mais s’il recueille plus de votes défavorables, sa candidature est rejetée. Si aucune investiture n’intervient dans un délai de deux mois, le roi doit prononcer la dissolution du Congrès des députés et convoquer de nouvelles élections.
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Chez nos voisins allemands, le Bundestag, la chambre basse du Parlement, dispose d’un «vote de défiance constructif» en élisant un autre chancelier à la majorité absolue. Au Royaume-Uni, même si le cas britannique est plus ambigu, le premier ministre, désigné par son parti et par le roi, peut être chassé de son gouvernement par un vote de défiance tenu par son parti. En principe en Italie, le gouvernement, constitué du président du conseil des ministres et les ministres, avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, «doit avoir la confiance des deux chambres» qui composent le Parlement italien dans les dix jours suivant sa formation.
Dans notre pays, le vote de confiance, traditionnellement présenté comme un premier pas vers les parlementaires, consiste pour «le premier ministre, après délibération du conseil des ministres», à engager «devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale», selon l’alinéa 1 de l’article 49 de la Constitution de 1958. S’il n’obtient pas la majorité absolue des voix, le gouvernement doit remettre sa démission. La majorité doit alors reformer une équipe, qui sera elle aussi soumise au vote du Parlement.
Néanmoins, «la Constitution est ambiguë et c’est plus la pratique que la lettre de la Constitution qui rend optionnel de demander la confiance», souligne Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Le principal intéressé peut décider de ne pas solliciter la confiance du gouvernement, en vertu d’une Constitution interprétée de manière «très présidentialiste», poursuit l’expert. «Le gardien de la Constitution est le Président de la République, qui a aussi nommé le premier ministre. Le président, qui peut faire tomber le ministre, est donc à la fois juge et partie.» Privée de majorité absolue, Élisabeth Borne, la prédécesseure de Gabriel Attal ne s’était d’ailleurs pas risquée à l’exercice en 2022. On observe un fonctionnement similaire en Norvège et en Suède, «où le gouvernement peut également se passer de la confiance formelle de la première chambre», ajoute Bertrand-Léo Combrade, «mais ce sont des monarchies parlementaires».
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L’Assemblée dispose cependant d’un autre moyen de pression pour faire tomber le gouvernement, au travers de la motion de censure, recevable seulement si elle récolte la majorité absolue, c’est-à-dire le vote d’au moins 289 des 577 députés. «La majorité requise est différente de celle du vote de confiance», explique Benjamin Morel. Sur un vote de confiance, un gouvernement tombe s’il ne dispose pas d’une majorité de suffrages exprimés. Cela est plus facile à atteindre qu’une motion de censure, où les voix sont calculées sur le nombre total de députés et seuls sont comptabilisés les votes favorables à la motion : la majorité est plus compliquée à réunir pour les opposants qui doivent se mettre d’accord sur une unique motion là où le vote de confiance les oblige juste à dire chacun non au gouvernement. «Il est plus difficile de faire tomber un gouvernement au travers d’une motion», résume le constitutionnaliste, «et cela explique l’attitude des premiers ministres. Ils peuvent choisir de ne pas solliciter de vote de confiance, en prenant le parti d’une potentielle motion de censure, plus difficile à faire appliquer.»
En résumé, le cas de la France fait bien figure d’exception parmi les démocraties parlementaires européennes, mais cela tient à la manière dont est nommé le gouvernement. La tenue d’un vote de confiance est prévue dans la Constitution de la Ve République, mais solliciter l’Assemblée nationale n’est ni une obligation constitutionnelle ni une obligation légale, à la différence de chez ses voisins européens.