Plus encore que les événements climatiques extrêmes, que les conflits armés ou les cyberattaques, la désinformation est perçue comme le risque planétaire numéro un dans les deux ans à venir. C’est du moins la nouvelle hiérarchie des grandes menaces établie par le rapport annuel sur les risques mondiaux du Forum économique mondial (WEF selon l’acronyme anglais), organisateur du Forum de Davos la semaine prochaine. «C’est la première fois que ce risque est explicitement évoqué dans notre rapport», souligne Saadia Zahidi, directrice générale du WEF et il passe directement à la première place. C’est sans doute lié, au fait «qu’une grande partie du monde va voter cette année», ajoute-t-elle. Environ 2 milliards de personnes, plus de la moitié de la population mondiale en âge de voter, va en effet se rendre aux urnes dans les douze prochains mois, dans 70 pays dont les États-Unis, l’Inde ou le Royaume-Uni.
Pas plus tard que mardi, un incident, survenu aux États-Unis, est venu confirmer, s’il en était besoin, les dangers de la manipulation de l’information. Un faux message apparaissant sur le compte officiel du gendarme américain de la Bourse (la SEC) sur le réseau social X (ex-Twitter) a fait brusquement bondir le cours du bitcoin.
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Pour établir la 19e édition de ce rapport sur les risques, publiée mercredi, le Forum économique mondial, en partenariat avec Zurich Insurance Group et le courtier en assurance Marsh McLennan a interrogé 1400 experts, dirigeants politiques et du monde de l’entreprise. «L’intelligence artificielle (IA) fournit de nouvelles armes aux cybercriminels, il n’y a même plus besoin d’être supérieurement intelligent» pour pratiquer la désinformation ou les cyberattaques, note Carolina Klint, directrice commerciale pour l’Europe chez Marsh McLennan.
«Les avancées en matière d’intelligence artificielle vont radicalement bouleverser les perspectives de risque pour les organisations, beaucoup d’entre elles ayant du mal à réagir aux menaces résultant de la manipulation de l’information , de la désinformation et des calculs stratégiquement manipulés», ajoute-t-elle. Les dirigeants consultés redoutent que la désinformation n’exacerbe la polarisation des sociétés, déjà fracturées, politiquement ou socialement. «La crainte est que plus personne un jour, n’aura confiance dans ce qu’il lit», s’inquiète John Scott, responsable des risques en matière de durabilité chez Zurich Insurance Group.
Selon le rapport, les cinq principaux risques mondiaux, à une échéance de deux ans, sont donc la désinformation; les événements météorologiques extrêmes; la polarisation des sociétés; les cyberattaques et enfin les conflits armés entre États. L’inflation et le ralentissement économique n’ont pas disparu par enchantement des préoccupations des dirigeants mais sont reléguées aux 7e et 9e places respectivement, l’immigration incontrôlée arrivant au 8e rang.
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Lorsqu’on leur demande de considérer les menaces à plus long terme, (dix ans), les risques environnementaux prennent le dessus : événements météorologiques extrêmes; basculement irréversible de systèmes naturels (montée des océans, fonte du permafrost, perturbation de la circulation océanique…); perte de la biodiversité et, en cinquième position, la désinformation. De façon générale, «l’an dernier, les répondants étaient plus optimistes à dix ans», remarque Saadia Zahidi, directrice générale du WEF.
D’un pays à l’autre, la perception des risques varie d’un pays à l’autre. Ainsi, en France, experts et dirigeants citent d’abord le ralentissement économique, les fractures sociales et la dette publique. Le trio de tête pour les Américains est le ralentissement économique, les maladies infectieuses et l’inflation quand les Indiens, qui vont voter au printemps, évoquent la désinformation, les maladies infectieuses et le travail clandestin.
Cette hiérarchie des risques mondiaux «ne constitue absolument pas des prévisions», insiste Saadia Zahidi mais doit être vue «comme un levier pour agir» dans cet esprit de collaboration entre États, entreprises, chercheurs et société civile que prône le Forum économique mondial depuis plus d’un demi-siècle.