Enzo, ce Mazars Challenge International de Paris (CIP) sera-t-il une répétition, à petite échelle, des prochains Jeux à Paris pour vous ?Enzo Lefort : Dans la tête, oui. Après, pour les Jeux, nous aurons vraiment trois mois pour nous préparer. Ce week-end, il s’agit juste d’un passage obligé pour la qualification pour les JO. Nous nous entraînons comme des tarés depuis septembre et nous avons eu une petite coupure pendant les fêtes, mais tout cela est sans commune mesure avec la préparation que nous aurons pour les Jeux. Ce CIP sera très important, il aura valeur de mini-répétition car il y a pas mal de sollicitations médiatiques en amont, il y a nos familles et nos proches dans les tribunes, il y aura l’attente du public français… Mais ce n’est quand même pas comparable à ce qui nous attend aux Jeux.

Regrettez-vous que votre sport ne bénéficie d’une réelle médiatisation que tous les quatre ans lors des Jeux ?Non, pas forcément. C’est clair que sur le plan médiatique, notre sport a une sorte d’«Olympique dépendance» au sens où le futur nombre de licenciés est directement impacté par les résultats des JO. Maintenant, à titre personnel, je suis plutôt content que cette médiatisation soit ponctuelle car je suis quelqu’un qui aime bien faire sa vie tranquillement, sans qu’on me reconnaisse dans la rue ou autre. J’aime bien ce pseudo-anonymat dans lequel je suis plus à l’aise.

Physiquement, comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Cela fait trois ans que je compose avec des pépins, quand ce n’est pas le genou, c’est la cheville, quand ce n’est pas la cheville, c’est la hanche… Mais cela ne m’a pas empêché de faire des résultats. Cette saison n’y déroge pas pour l’instant, avec un genou gauche qui me cause quelques soucis. La semaine dernière, j’ai fait une infiltration et j’ai loupé deux jours d’entraînement mais là, ça va mieux. Il me reste une petite douleur résiduelle mais rien qui ne m’empêche de m’exprimer à 100%.

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Avez-vous apporté des choses nouvelles dans votre préparation pour ces futurs Jeux à Paris ?Ce n’est pas forcément pour les Jeux spécifiquement mais simplement pour m’entraîner de la façon la plus efficace possible, donc j’ai intégré du yoga dans ma préparation. Cela m’aide énormément en me permettant de travailler différemment, et je le fais en bonne intelligence avec le staff. Aujourd’hui, j’ai 32 ans et j’ai sans doute besoin de choses différentes qu’un petit jeune de 20 ans. Par exemple, je ne pense pas avoir besoin de faire autant de musculation qu’auparavant. Le yoga est plus doux pour mon corps. Je fais peut-être aussi un peu moins d’escrime qu’avant car j’ai acquis au fil de ma carrière une certaine expérience, et je sais comment être plus efficace sur quatre matches d’entraînement sans avoir besoin d’en faire six ou sept. Ce sont plein de petits détails comme ça qui me permettent d’optimiser ma préparation sur un plan individuel.

À quel point la victoire au Japon dans la compétition par équipes le 10 décembre dernier vous a remis sur une bonne dynamique collective ?On ne va pas se mentir, cette victoire est vraiment arrivée à point nommé. On sortait de deux contre-performances avec une élimination en quart de finale d’un Championnat du monde et un 1er tour à Istanbul en Coupe du monde. Après, du fait de ces Jeux à la maison, on a tendance à vite se mettre en panique parce qu’il y a beaucoup d’attente, notamment sur l’escrime et sur nous, qui sommes champions olympiques en titre. Mais je ne vois pas les choses de cette façon. Nous avons gagné les Jeux il y a trois ans mais cela ne veut pas dire que nous sommes les favoris pour Paris 2024. Ce n’est d’ailleurs pas le cas. Et c’est un statut qui nous va bien d’être les outsiders. Mais pour revenir à votre question, cette victoire nous a fait du bien car l’équipe a été renouvelée et nos entraîneurs avaient fait un pari audacieux là-bas en alignant une équipe inédite. Cette victoire montre qu’il faut nous faire confiance et ne pas tirer la sonnette d’alarme au moindre problème. Le sport n’est pas linéaire, il y a toujours des hauts et des bas. Nous avons besoin de sentir de la confiance pour préparer au mieux ces Jeux à domicile.

Justement, votre entraîneur, Emeric Clos, pense que vous manquez parfois de confiance en vous sur le plan collectif…Je suis tout à fait d’accord avec lui. C’est quelque chose de très français. Cela fait à la fois notre force et notre faiblesse. Nous sommes des «intellectuels» qui aimons bien nous remettre sans cesse en question. Sauf que nous faisons un sport à élimination directe et qu’il ne faut pas tout intellectualiser. Un jour, sur une compétition, on peut tomber sur le mec en super forme qui va nous battre au 1er tour alors que nous aurions pu battre les 62 autres compétiteurs. Il ne faut pas remettre tout en question à chaque défaite. Il ne faut pas à chaque fois faire table rase après chaque compétition car dans ce cas-là, on ne peut jamais rien construire alors que notre sport exige une construction sur le long terme. Pour moi, tout est question de savant mélange entre confiance en soi et savoir évoluer.

Emeric vantait aussi vos qualités mentales, votre capacité à briller dans les grandes compétitions avec notamment vs deux titres mondiaux (2019 et 2022) et votre médaille de bronze l’an dernier. Est-ce à dire que vous êtes imperméable à la pression ?(Sourire) Imperméable à la pression, absolument pas. Je pense que je suis l’un de ceux qui subit le plus de pression. Je suis peut-être un peu taré mais je ressens de la pression même à l’entraînement. Je déteste tellement perdre que parfois, j’arrive sur une séance en me fixant l’objectif de ne pas perdre et je me mets une boule au ventre en faisant cela. Maintenant, peut-être que cela me permet de mieux le gérer sur les grandes échéances, je ne sais pas… Ce qui est certain, c’est que j’ai la chance que le stress ne m’inhibe pas, au contraire, il me permet d’aller chercher des ressources insoupçonnées pour revenir de situations où je suis mal embarqué. Mais je ne saurais pas comment l’expliquer car je bosse de manière très épisodique avec une préparatrice mentale. Donc disons que j’ai sans doute de la chance.

Pour revenir au CIP de ce week-end, vous l’avez remporté il y a dix ans exactement. Que cela vous évoque-t-il ?Je le vois comme une fierté. Dix ans après, être encore sur l’affiche, en équipe de France, ce n’est pas donné à tout le monde de durer autant à ce niveau-là. Je prends le temps de savourer cette longévité. Après, en ce qui concerne ce CIP, je n’ai de message à envoyer à personne. J’ai un rapport très égoïste à ma discipline. Si je la pratique, c’est pour moi, pas pour prouver quelque chose à quiconque. Même si évidemment, ce CIP est un objectif important et j’y vais pour gagner. Maintenant, je sais que si je gagne ce week-end mais que je perds au 1er tour lors des Jeux, on me crachera à la figure. Et si cela ne se passe pas comme je l’espère ce week-end, il n’y aura pas mort d’homme. L’objectif est clair, et c’est Paris 2024. Mon pic de forme devra être cet été.