C’est une tempête physiologique, orchestrée à la frontière entre le placenta et la muqueuse utérine. Le travail, premier stade de l’accouchement durant lequel le col de l’utérus se dilate et s’efface progressivement, se déclenche sous l’influence d’une série de mécanismes de natures cellulaire, immunitaire et vasculaire. Mais ce processus ne dépend pas uniquement du corps de la mère: le fœtus lui-même influence son déclenchement en libérant des signaux chimiques qui stimulent la production d’hormones, comme l’ocytocine, clés pour les contractions utérines. Mais comment se met en place ce ballet entre une mère et son enfant à naître ?
Si l’existence d’une «communication» materno-fœtale était soupçonnée depuis longtemps, les contributions à ce dialogue de chaque type de cellule, qu’elles soient d’origine maternelle ou fœtale, restaient largement méconnues. Or plusieurs études suggèrent qu’une perturbation de ces voies d’interaction peut conduire à des naissances prématurées. Pour mieux prédire de tels évènements, une équipe de chercheurs américains a généré le premier atlas complet des voies cellulaires fœto-maternelles impliquées dans le déclenchement du travail. Les résultats sont parus dans Science Translational Medicine . De quoi, espèrent leurs auteurs, mieux comprendre ce qui se joue juste avant une naissance.
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Pour générer une telle carte, les scientifiques ont étudié 42 placentas récoltés lors d’accouchement et de 159 prélèvements sanguins faits chez des femmes ayant accouché à terme ou de façon prématurée. Ils ont cherché à identifier les types de cellules maternelles et fœtales les plus affectées par le déclenchement du travail. La nouveauté est qu’ils se sont appuyés sur une méthode de séquençage génétique avancée appelée «séquençage de l’ARN à cellule unique» («single cell»), qui permet non seulement d’identifier des populations cellulaires d’un échantillon biologique, mais aussi de quantifier l’expression des gènes spécifiques à chacune d’entre elles. «Jusqu’à présent, on faisait surtout des séquençages d’ARN sur l’ensemble d’un échantillon de placenta sans pouvoir attribuer à chaque type cellulaire une signature particulière. Le séquençage ARN à cellule présente l’avantage de fournir une analyse approfondie de la diversité cellulaire d’un organe aussi complexe soit-il», explique Claire-Marie Vacher, chercheuse au centre médical de l’université Columbia.
Dans un premier temps, les chercheurs ont distingué les différentes populations de cellules placentaires. Parmi les groupes cellulaires d’origine exclusivement fœtale figuraient des cellules stromales, impliquées dans la formation des cellules sanguines, des cellules endothéliales, qui régulent la perméabilité des vaisseaux sanguins, et des cellules trophoblastiques, dont le rôle est d’approvisionner le fœtus en nutriments et en oxygène. Côté maternel, les échantillons contenaient principalement des cellules de la muqueuse utérine, les cellules déciduales, qui se modifient au cours de la grossesse pour fournir un environnement favorable à l’implantation de l’embryon.
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Mais surtout, l’ensemble des échantillons renfermaient une importante proportion de cellules immunitaires (cellules «natural killer», macrophages, lymphocytes T, lymphocytes B, etc.) produites soit par le fœtus, soit par sa mère. «Toutes ces cellules sont impliquées dans les processus inflammatoires qui se manifestent chez tous les humains dans le cadre des infections. Néanmoins, l’inflammation est un processus naturel crucial lors de l’accouchement. Elle participe notamment aux contractions utérines, à la dilatation du col de l’utérus ou à prévenir les infections pendant l’accouchement», souligne Yehezkel Ben-Ari, chercheur à l’Inserm spécialiste des processus de maturation cérébrale.
Une fois cette classification achevée, les chercheurs se sont intéressés à l’activité propre des cellules au moment du déclenchement du travail. Fait étonnant, les cellules les plus touchées ne se trouvaient pas dans le cœur du placenta mais dans les membranes environnantes, dites «chorioamniotiques», qui entourent le fœtus et se rompent lors du travail. «Jusqu’à présent, on voyait les membranes comme quelque chose d’amorphe dans lequel baigne le fœtus. Ces travaux sont une preuve parmi d’autres qu’elles ont en réalité un rôle actif lors de la grossesse», insiste Philippe Deruelle, chercheur et professeur d’obstétrique et de gynécologie à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes.
Plus encore, les auteurs ont découvert que certaines cellules fœtales (les cellules «stromales») ont un rôle clef dans le déclenchement du travail. «Si l’on suspectait le rôle des cellules maternelles, l’implication des cellules fœtales était moins évidente», commente le Pr Deruelle. L’hypothèse est qu’elles pourraient contribuer à la meilleure tolérance du fœtus par l’organisme maternel, notamment via l’inhibition de l’activité des lymphocytes T maternels, habituellement chargés d’éliminer tout corps étranger. «Par ces interactions complexes, le fœtus échappe aux mécanismes de défense de la mère et peut ainsi se développer sans être perçu comme une menace», estime le Pr Vacher.
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L’une des trouvailles les plus importantes des chercheurs reste l’identification de potentiels biomarqueurs, dans le sang des futures mères, du risque d’accouchement prématuré. «Malgré toutes les connaissances et les technologies actuelles, nous sommes encore incapables de prévenir un accouchement prématuré, mais nous savons que les processus inflammatoires y contribuent fortement», insiste le Pr Deruelle. De tels signaux seraient détectables dès le début de la grossesse, ce qui a pu être vérifié grâce à l’analyse des prélèvements sanguins réalisés aux différents trimestres de la grossesse.
Ces résultats sont très «encourageants», s’accordent les scientifiques, car cela suggère qu’à l’aide d’une simple prise de sang, il serait possible d’identifier certains biomarqueurs prédictifs des accouchements prématurés. Cependant les auteurs restent prudents sur cette hypothèse, qui devra être confirmée par d’autres travaux.