Comédie dramatique de Pascal Thomas, 1h29
Puisque c’est comme ça, il part. Sa femme le trompe. Il n’en fait pas tout un drame. Paul-Émile, dit Victor, enfourche son vélo et suit l’épouse de son rival sur les chemins de Compostelle. Vivent les années sabbatiques, semble dire ce professeur de lettres au charme délicat. La France se transforme en cour de récréation. Cela le change du lycée. La province doit se parcourir par tous les moyens possibles et imaginables, bicyclette (déjà mentionnée), TER, Vespa et même péniche. Le voyage permet au héros de retrouver une ribambelle d’ex-conquêtes. On sent qu’il a rompu par étourderie. Il ne pensait pas à mal. Les surprises sont au rendez-vous. On tombe sur une resquilleuse de la SNCF gentiment tancée par le contrôleur, un couple de lesbiennes désireuses d’avoir un fils, un enseignant reconverti dans le cambriolage de notables. Anny Duperey répète ses funérailles. Louis-Do de Lencquesaing, jaloux comme un pou, se console avec Les Contrebandiers de Moonfleet. Cet éloge de l’imprévu constitue un éloge de l’apéritif, des rencontres de hasard, d’une certaine douceur de vivre. L’insouciance est reine dans cette chronique qui mêle citations de Renoir (Auguste) et de Buzzati (Dino), repas arrosés et discussions désenchantées. Il y flotte un parfum de vacances prolongées. L’effort est ici interdit de séjour. Littéraire et bon enfant, Pascal Thomas pratique un cinéma buissonnier. Il fait son marché à droite et à gauche, flèche de tout bois, secoue l’inertie du quotidien, verse de la fantaisie dans la banalité des jours. Ce réalisateur a toujours été démodé. C’est comme ça qu’on devient un classique. Le film est gai comme une chanson de Trenet, léger comme un poème de Paul-Jean Toulet. Cette légèreté, cette gaieté sont des péchés impardonnables. Le Voyage en pyjama est frais, naturel, vif comme un joueur de rugby, évident comme un souvenir d’enfance. É.N.
Lire aussi Notre critique de Voyage en pyjama : aller simple pour l’amour
Drame de Stéphane Marchetti, 1h32
Marie n’est pas une militante engagée promigrants ni une passeuse professionnelle. Ses motivations ne sont ni politiques ni criminelles, mais une série de hasards et de petits arrangements avec la réalité pour survivre vont l’amener à passer de l’autre côté de la loi. Associée à Souleymane, un réfugié, elle va organiser un trafic de migrants pour les faire entrer en France, depuis l’Italie. Stéphane Marchetti vient du monde du documentaire. Il a réalisé en 2017 un film sur les enfants de la jungle de Calais. Dans ce premier long-métrage de fiction, il navigue dans la zone grise de notre humanité, entre opportunisme et altruisme, à travers le portrait de cette femme qui se bat au quotidien et semble toujours faire les mauvais choix. Sur un thème aussi sensible, il signe un thriller social brut et fort, sans pathos ni manichéisme, porté par le magnifique duo formé par Florence Loiret Caille et Saabo Balde, découvert dans Twist à Bamako , de Robert Guédiguian. V.B.
À lire aussiÀ l’affiche du film La tête froide, Florence Loiret Caille, le calme et la tempête
Comédie dramatique d’Ali Marhyar, 1h30
François Ier doit jubiler dans son tombeau. Le château de Chambord a battu son record de fréquentation annuelle avec près de 1,15 million de visiteurs en 2023, en augmentation de près de 9 % par rapport à 2022. Comme un prince devrait contribuer un peu plus à la renommée du domaine national puisque le château de la Renaissance lui sert de décor principal. Son héros, Souleyman (Ahmed Sylla), n’a pourtant aucune raison d’y mettre les pieds. Champion de boxe, il prépare les Jeux olympiques. Une bagarre dans un bar lui fissure la main et lui vaut d’être exclu de l’équipe de France. Pour éviter la prison, il doit effectuer 400 heures de travaux d’intérêt général (TIG). Il échoue à Chambord, côté jardins. Son travail consiste à ramasser les branches mortes et les déchets avec une équipe de cas sociaux. Parmi eux se trouve Mélissa (Mallory Wanecque), adolescente fragile et rebelle placée dans un foyer. Elle a le coup de poing facile et habile. Elle tape dans l’œil de Souleyman. Il la prend sous son aile, lui apprend à boxer. Son dévouement n’est pas si désintéressé. La réussite de Mélissa doit lui permettre de réintégrer l’équipe de France de boxe, comme entraîneur cette fois. Comme un prince a un petit côté Million Dollar Baby dans les châteaux de la Loire, avec ring de boxe en forêt. Mais c’est avant tout une comédie. Elle repose beaucoup sur la drôlerie et le charme de son interprète principal. Ahmed Sylla (L’Ascension, Inséparables, Un petit frère, Les Femmes du square) fait rire en pique-assiette en livrée et perruque. Quand il enfile l’armure pour jouer le duel final de la bataille de Marignan, dans le style Puy du Fou, on est plus chez les Monty Python que chez Ridley Scott. Mais Sylla ne joue pas solo. Les seconds rôles sont de parfaits sparring partners pour l’humoriste. Jonathan Cohen campe un agent de probation réjouissant, plus porté sur la bouffe que la réinsertion. Julia Piaton, en responsable de l’événementiel du domaine, reste dans le registre maîtresse d’école ferme mais bienveillante des Petites Victoires. Après avoir enseigné le français à l’élève illettré Michel Blanc, elle donne un cours d’histoire à Ahmed Sylla. Comme un prince a aussi des vertus pédagogiques. On apprend ainsi que François Ier n’a habité que soixante-douze jours au château de Chambord sur ses trente-deux années de règne (1515-1547). D’ailleurs, son tombeau repose dans la cathédrale de Saint- Denis. À l’idée que sa résidence royale demeure aussi populaire, il doit jubiler quand même. É.S.
À lire aussiNotre critique de Comme un prince, un film dans lequel Ahmed Sylla relève le gant
Drame de Yorgos Lanthimos, 2h21
En quelques films (Canine, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré), Yorgos Lanthimos s’est taillé une réputation de misanthrope, adepte du malaise et du sarcasme. Pauvres créatures joue dans la même cour en apparence. Il s’inspire d’un roman de l’écrivain écossais Alasdair Gray. Il met en scène Willem Dafoe en chirurgien au visage couturé et aux idées farfelues. Le savant fou récupère le corps d’une femme enceinte réchappée de la noyade (un suicide raté) pour remplacer son cerveau par celui de son enfant à naître. La créature est plus sexy que Frankenstein puisqu’elle a les traits d’Emma Stone. Mais elle a le comportement d’un bébé capricieux qui balbutie ses premiers mots et fait du tricycle dans son manoir londonien. Dafoe engage un de ses étudiants pour documenter au quotidien les progrès de Bella Baxter (c’est son nom), interdite de sortie. Un avocat débauché (Mark Ruffalo) la fait échapper. Ils s’enfuient à Lisbonne, puis sur un paquebot en route pour Athènes. Bella Baxter découvre les plaisirs de la chair. Entre deux galipettes, la belle ignorante lit des livres sur les conseils de Hanna Schygulla. Mais son émancipation se fait essentiellement par le corps. L’avocat reste sur le carreau et Bella Baxter entre dans un bordel à Paris pour continuer son apprentissage. Les clients s’enchaînent et ont des profils variés. Baxter fait penser à Barbie découvrant le vrai monde, en plus trash et nymphomane. Emma Stone ne recule pas devant la nudité. Dans toutes les positions. Enfin pas toutes, et le travail de la coordinatrice d’intimité se fait sentir, transformant Bella en poupée lubrique et mécanique. Cette éducation sexuelle se déroule dans des décors hideux, faits de couleurs criardes et d’effets numériques. L’esthétique douteuse du film est aggravée par l’abus que fait Lanthimos du grand-angle, ou œil de poisson, qui entraîne une distorsion de l’image. Au spectateur de faire preuve à son tour d’endurance pour aller au bout des 2 h 21 de ce film monstrueux, dans tous les sens du terme.É.S.