«C’est la conférence que tout le monde attend», a clamé sans modestie mercredi matin le présentateur vedette de CNN Fareed Zakharia, habitué du Forum économique mondial de Davos (WEF, en anglais). Il se tenait sur la scène de la salle plénière où, depuis deux jours, se sont succédés le premier ministre chinois Li Qiang, le président ukrainien Volodymyr Zelensky ou encore Emmanuel Macron. Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, la start-up qui a inventé ChatGPT, était en effet très attendu par les quelque 1200 spectateurs. Au point de voler la vedette aux autres participants de la table ronde, pourtant tous de gros calibres : trois PDG, Marc Benioff (Salesforce), Julie Sweet (Accenture) et Albert Bourla (Pfizer) et un ministre, le chancelier de l’échiquier britannique, Jeremy Hunt.
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Paraissant presque intimidé, l’entrepreneur de 38 ans s’est assis en ajustant son pantalon. Interrogé sur le psychodrame ultramédiatisé de son éviction et de sa réintégration éclair d’OpenAI en novembre, Altman a d’abord répondu par un sourire et un silence embarrassés. «À un certain point, je crois qu’il faut juste en rire, tant c’est ridicule, commente-t-il finalement. On savait que notre conseil d’administration était devenu trop petit.» «Ce que j’ai appris le plus, c’est la force de notre équipe (…) qui aurait pu se passer de moi», confie-t-il devant une salle bien remplie. Et de glisser qu’«à chaque nouvelle étape vers une IA puissante, le niveau de tension va augmenter, notre degré de folie montera encore de dix points tant les enjeux sont énormes».
Comment le créateur de ChatGPT réagit-il aux inquiétudes suscitées par l’intelligence artificielle (IA) générative, partagées par Bill Gates, entre autres ? «C’est une technologie très puissante, on ne peut pas dire avec certitude ce qu’il va se passer, répond l’intéressé avec candeur. Je comprends la nervosité du public à l’égard d’entreprise comme la nôtre». «Ne pas être prudent, ne pas saisir la gravité des enjeux serait une erreur», veut-il rassurer.
À ses côtés, le ministre britannique Jeremy Hunt lui fait remarquer que ChatGPT commet encore des erreurs qui ont égratigné son ego : «La première fois que je suis allé sur ChatGPT, j’ai demandé : est-ce que Jeremy Hunt est un bon chancelier de l’échiquier ? ChatGPT m’a répondu que Jeremy Hunt n’était pas chancelier.» Tout en soulignant les progrès de GPT3 et GPT4, Altman admet que le logiciel commet encore des erreurs, et que les utilisateurs tolèrent beaucoup moins les erreurs venues d’une machine que d’un être humain.
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À ceux, nombreux, qui s’inquiètent que les modèles d’IA soient des boîtes noires, Sam Altman répond que l’on parvient à «radiographier le cerveau d’une IA mieux que le cerveau humain». «Que restera-t-il à l’être humain si l’IA calcule et analyse mieux que lui ?», lui demande Fareed Zakharia. «L’humain a toujours besoin de savoir ce que pensent et ressentent les autres humains, assure Altman. Dans mon travail, je ne suis pas un chercheur en IA, mon rôle est surtout d’échanger avec d’autres humains pour prendre des décisions.» «Prenez l’exemple des échecs, poursuit-il. Quand une machine a battu Kasparov, on a cru que c’en était fini.» Mais «personne ne regarde une partie d’échecs entre deux IA» et «les échecs n’ont jamais été aussi populaires».
Quant à l’inquiétude légitime posée par le recours massif, et gratuit, à des données pour entraîner les modèles de langage, Sam Altman ne l’élude pas. «Nous sommes en négociations avec le New York Times pour payer l’utilisation de leur contenu », rappelle-t-il. Et à l’avenir, «les modèles vont se reposer sur une quantité moindre de données mais de meilleure qualité».
Si la conférence plénière était ouverte à tous les porteurs du très convoité badge blanc du WEF, nombre de participants du Forum étaient en quête d’une rencontre en plus petit comité avec le patron d’OpenAI. Un «effet de mode» qui fait un peu grincer les dents chez des dirigeants de Google et Meta, présents en nombre à Davos, et qui développent leurs propres applications d’IA.
Certains ont pu approcher Sam Altman mardi après-midi lors du «Bloomberg afternoon tea» organisé par l’agence américaine. Mercredi, Microsoft, actionnaire d’OpenAI, a invité une petite centaine de clients à assister à un échange entre Satya Nadella, le PDG du géant fondé par Bill Gates, et Sam Altman, dans le Microsoft Café installé en face du centre des congrès. Un emplacement stratégique sur la Promenade, la rue centrale de Davos, où, sur deux kilomètres, tous les restaurants et magasins (à l’exception notable de la boutique Rolex et des agences du Crédit Suisse et d’UBS) ont été transformés en «lounges» aux profits d’entreprises et de pays.
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Le Graal ? Obtenir une rencontre en bilatérale avec Sam Altman. «Je vais tout faire pour obtenir quinze minutes en face-à-face avec lui», assurait mardi Alex Combessie, PDG et cofondateur de Giskard, une start-up française spécialisée dans la certification des algorithmes d’intelligence artificielle contre les risques d’hallucinations. Las. Cela s’est avéré mission impossible, «même en passant par des Français travaillant chez OpenAI», regrettait-il ce jeudi après la conférence. «Il n’a pas accordé de temps dans son agenda très rempli à Davos. Ce n’est que partie remise. Nous allons à San Francisco le mois prochain, nous allons retenter», rapporte le Français.
Parmi les rares à avoir eu le privilège d’une rencontre bilatérale : Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, qui l’a vu mardi matin. Comme s’il avait fallu que les deux Américains traversent l’Atlantique pour se rencontrer. Une bilatérale, Christine Lagarde n’en a pas eu besoin, tant elle connaît bien Sam Altman. À la fin de la conférence de jeudi, la patronne de la Banque centrale européenne (BCE) est montée sur scène en toute simplicité pour l’embrasser et échanger quelques mots. À Davos, rares sont ceux qui, parfois par snobisme, assurent ne pas être intéressés par une rencontre. «J’ai déjeuné ici avec lui l’an dernier, confie un grand patron. Je ne l’ai pas trouvé si intéressant que cela.»