Ces derniers jours, l’Ukraine a reçu une bonne et une mauvaise nouvelle de la part de ses alliés. Lors de sa conférence de presse mardi 16 janvier, le président français Emmanuel Macron a annoncé l’envoi de 40 nouveaux missiles Scalp à Kiev. Mais le lendemain, le Parlement allemand s’est prononcé contre une résolution visant à livrer une arme similaire, le missile longue portée germano-suédois Taurus. Le Bundestag a même largement rejeté cette motion portée par le groupe CDU/CSU, par 485 voix contre, 178 voix pour et trois abstentions.

Ce vote était avant tout symbolique. En cas d’adoption, la décision finale serait revenue au chancelier Olaf Scholz, qui a déjà refusé au mois d’octobre dernier de livrer ce type de missile pour le moment. Mais il illustre la posture complexe de l’Allemagne. Le pays représente un des plus importants soutiens de l’Ukraine depuis le début de la guerre, mais se refuse toujours à livrer des armes à longue portée, alors que la France (Scalp), le Royaume-Uni (Storm Shadow) et les États-Unis (ATACMS) ont récemment franchi le pas.

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Le Taurus, utilisé par l’Allemagne, la Corée du Sud et l’Espagne, est l’un des missiles les plus modernes de l’armée de l’air allemande. Emporté sur un avion de combat, il pèse 1,5 tonne, dont 400 kg de charge utile et possède une portée de plus de 500 km (contre 400 pour les Scalp et les Storm Shadow). Tiré depuis la frontière nord-est de l’Ukraine, il pourrait en théorie atteindre la banlieue de Moscou. C’est aujourd’hui la distance que couvrent les drones ukrainiens, mais ils ne peuvent transporter au maximum qu’une dizaine de kilos d’explosifs.

Outre sa portée, l’immense avantage du Taurus réside dans son guidage, qui ne s’appuie pas sur le GPS, et devient ainsi moins détectable pour les défenses antiaériennes russes. Mais les capteurs dont il est équipé pour s’orienter exigent une programmation qui ne s’improvise pas. En septembre dernier, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius avait justifié la réticence du gouvernement en expliquant qu’«il s’agit d’engins extrêmement complexes». «Ça n’est pas comme s’il s’agissait de programmer une simple cafetière», avait-il tranché.

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Pourtant, le rejet de cette résolution non contraignante n’est pas fondé sur des caractéristiques techniques, mais sur des considérations purement politiques. Portée par l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et l’Union chrétienne sociale (CSU), fervents partisans de l’envoi d’armes à l’Ukraine, elle a été rejetée par la majorité des sociaux-démocrates (SPD), des Verts et des Libéraux démocrates (FDP), membres de la coalition gouvernementale. Ces derniers mois, de nombreuses voix s’élèvent certes au sein de ces partis, pour appuyer le soutien à l’Ukraine. Sur ce vote, ils ont néanmoins considéré la démarche de la CDU/CSU comme malhonnête, les accusant de lier cette résolution à un débat sur l’état de la Bundeswehr.

Début janvier, une porte-parole des Verts, Sara Nanni, avait déclaré auprès du quotidien Rheinische Post que «la livraison de missiles Taurus à l’Ukraine aurait dû avoir lieu depuis longtemps», s’opposant ainsi à la ligne de son allié Olaf Scholz. La députée libérale (FDP) Marie-Agnes Strack-Zimmermann, elle aussi alliée du gouvernement, avait jugé «cynique», auprès du même journal, que l’Europe livre «suffisamment pour que l’Ukraine ne perde pas, mais pas assez pour qu’elle libère l’ensemble de son territoire». Les appels en ce sens ont redoublé ces derniers jours en Allemagne, de la part de membres de ces deux partis mais aussi de l’opposition conservatrice.

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Mais au sommet de l’État et parmi les récalcitrants, on redoute que ces armes ne frappent des cibles stratégiques en Russie, comme le pont de Kertch. Et que Moscou désigne l’Allemagne comme responsable. «Certains sujets ont tendance à paralyser la classe politique allemande et la livraison des missiles Taurus en fait partie», souligne Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux. Et l’une des raisons est «la peur du nucléaire». Si «les Ukrainiens utilisaient les Taurus pour mettre en danger l’État russe et ses forces stratégiques», les responsables politiques allemands craindraient la menace «de représailles nucléaires», estime le spécialiste.

Finalement, on voit resurgir la même situation que l’an dernier, quand Berlin avait d’abord refusé de livrer du matériel lourd, puis des chars Leopard à l’Ukraine. Le pays s’y était finalement résolu après de longs atermoiements et des divisions au sein de la coalition. En mai dernier, l’Allemagne avait également annoncé qu’elle ne participerait pas à l’envoi d’avions de combat en Ukraine, elle qui ne dispose pas de F-16. Cette posture avait en revanche fait consensus au sein de la classe politique. «J’ai dit très tôt que je ne voyais pas les Tornado et les Eurofighter opérer dans l’espace aérien de l’Ukraine, et la majorité de mes collègues sont d’accord», avait précisé à l’époque la députée FDP Strack-Zimmermann.