Santé publique France pointe une augmentation des nouveaux cas diagnostiqués de la maladie de Lyme ces vingt dernières années. Peut-on imputer cette hausse, ne serait-ce qu’en partie, au changement climatique et aux modifications de notre environnement ? « Il n’y a pas de réponse claire et simple car le système est particulièrement complexe et implique de nombreux acteurs en interactions » explique Olivier Plantard, directeur de recherche à l’INRAE, spécialiste en éco-épidémiologie et en santé animale. En Europe, c’est la tique Ixodes ricinus (sous forme de larve, nymphe ou adulte) qui sert de vecteur à cette maladie, en transportant une bactérie pathogène du genre Borrelia. En piquant un hôte, une tique infectée peut alors transmettre la bactérie.

Les conditions optimales de température pour le développement d’une tique, dont le cycle de vie s’étale sur deux à trois ans, sont comprises entre 15 et 25°C. En dehors de cet intervalle, la vitesse de développement de l’animal est ralentie, les tiques peuvent même entrer en période de vie ralentie (la diapause). En raison du changement climatique, « les périodes de diapauses pourraient être plus courtes à l’avenir », estime l’infectiologue Solene Patrat-Delon. Le réchauffement permet en outre aux tiques de se répandre dans des zones qui étaient jusque-là trop froides pour elles. « Les articles scientifiques montrent bien depuis 20 à 30 ans une remontée vers le nord de la Scandinavie de la tique Ixodes ricinus ainsi qu’en altitude en montagne » explique Olivier Plantard.

Néanmoins, la température est loin d’être le seul paramètre qui modifie le développement de la tique. Elle est influencée par l’humidité (elles préfèrent l’air très humide) mais dépend aussi étroitement d’autres organismes vivants. Et parfois de manière surprenante… Les chercheurs ont par exemple noté une relation étroite avec… la quantité de glands ! En effet la tique apprécie se fixer sur des rongeurs qui consomment des glands. Plus il y a de glands, plus il y aura de rongeurs et plus la tique pourra se reproduire et transmettre la bactérie. Or le changement climatique modifie la saisonnalité des végétaux, ce qui modifie à son tour les comportements et la répartition des animaux qui se nourrissent de végétaux. La variation des populations animales modifie ainsi les populations de tiques, ce qui module la dynamique de la maladie. Tout est lié. C’est d’ailleurs la base du concept «One health», qui considère que santés humaine, animale et végétale ne doivent pas être dissociées les unes des autres.

Et cela peut devenir plus complexe encore. « La compétence de transmission est différente suivant les espèces piquées par la tique», rapporte l’infectiologue Solene Patrat-Delon. « Les chevreuils ont un système immunitaire performant qui empêche la multiplication de la bactérie à l’origine de la borréliose de Lyme. » Les cervidés participent du coup à un «effet de dilution ». Leur présence au sein des écosystèmes contribue à diminuer la probabilité qu’une tique soit contaminée par la bactérie, à l’inverse des micromammifères comme les campagnols.

Construire un modèle épidémiologique intégrant les trois catégories d’acteurs (bactéries, tiques et hôtes) avec leur diversité et leur variabilité est particulièrement complexe. Et comprendre comment celui-ci évolue avec le réchauffement et les modifications de l’environnement est encore plus compliqué. Selon le chercheur Olivier Plantard, la lutte et la prévention contre la maladie de Lyme gagneraient à un rapprochement entre médecins épidémiologistes, vétérinaires et écologues. «La maladie n’est pas soumise à une déclaration obligatoire par les médecins, donc nous nous sommes privés de nombreuses informations qui seraient pourtant particulièrement utiles pour mieux comprendre les facteurs environnementaux favorisant le risque de contracter la maladie. »