«C’est pas moi qui décidera», «les droits fondamentals»… Sitôt nommé, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, s’est fait remarquer pour avoir fait plusieurs fautes de français lors de ses récentes prises de parole. Des erreurs qu’il a attribuées à une dyslexie, diagnostiquée alors qu’il était enfant. «À force de travail, de rééducation, j’ai presque gommé l’intégralité de mes défauts à l’oral. Cela revient toutefois quand il y a un moment de fatigue ou de stress important, et je n’y peux rien !», a-t-il fait savoir au Parisien. Le choix du mot «dyslexie» est surprenant, car celle-ci ne touche que la sphère de l’écrit, et non le langage. Quand la parole est affectée, on parle plutôt de «dysphasie», un autre trouble moins connu que la dyslexie (mais auquel il peut s’ajouter). Zoom sur ce trouble du développement du langage qui touche, selon les estimations, entre 1 et 7% de la population.
«La dysphasie est au langage oral ce que la dyslexie est à l’écrit», énonce le Dr Olivier Revol, pédopsychiatre, responsable du centre de référence des troubles d’apprentissage au CHU de Lyon. «Il y a plusieurs formes de dysphasie, mais ce sont globalement des personnes qui ont du mal à trouver leurs mots ou qui confondent des mots, qui ont tendance à faire des phrases courtes ou encore des difficultés à conjuguer les verbes», détaille le spécialiste, qui précise que l’on parle désormais plutôt de «troubles spécifiques du langage oral».
Le spécialiste souligne que ces difficultés ne reflètent en rien le niveau d’intelligence. «La dysphasie peut donner une fausse impression de retard mental chez l’enfant. Or cela n’affecte absolument pas l’intelligence. Ce sont des gens intelligents qui comprennent tout mais dont la région du cerveau impliquée dans le langage fonctionne moins bien», poursuit le médecin. En plus de difficultés à s’exprimer, certains ont également des problèmes de compréhension.
Si le fait de grandir avec deux langues dans son foyer est un atout incontestable pour les enfants de façon générale, ce n’est pas vraiment le cas pour ceux atteints de dysphasie. «Quand les parents parlent chacun une langue, on leur demande d’en choisir une pour leur enfant, sinon cela devient source de troubles encore plus importants pour lui», rapporte le Dr Revol. Or si Stéphane Séjourné est né dans les Yvelines, il a par la suite grandi dans des pays hispanophones.
La dysphasie prend racine dès la vie fœtale et se manifeste par des modifications du fonctionnement d’une ou plusieurs aires cérébrales. «Les techniques actuelles d’IRM cérébrale montrent que ce sont des enfants qui, quand on les sollicite sur le plan du langage, n’ont pas les mêmes régions cérébrales qui s’activent que chez les enfants ordinaires», indique le Dr Sybille Gonzalez, neurologue au service de rééducation pédiatrique à l’hôpital mère-enfant de Lyon. Aucun événement médical (problème lors de l’accouchement, malformation cérébrale, lésions consécutives à un AVC chez le nouveau-né…) ne permet d’expliquer ce trouble. La piste d’une cause génétique est l’explication la plus plausible. «Quand un enfant est diagnostiqué, il y a souvent d’autres cas dans la famille. Il existe certainement des facteurs génétiques derrière cette transmission héréditaire», précise le Dr Revol. À noter que les garçons sont trois fois plus touchés que les filles.
Beaucoup cumulent dysphasie et dyslexie, l’un entraînant l’autre. «La dysphasie peut gêner l’enfant dans l’acquisition des connaissances phonologiques nécessaires pour l’entrée dans l’apprentissage de la lecture, c’est pourquoi les enfants atteints de dysphasie sont souvent à risque de développer une dyslexie», explique le Dr Sybille Gonzalez.
Contrairement à une croyance répandue, les troubles «dys» ne sont pas temporaires. «Certains pensent que cela va disparaître lorsque l’enfant grandit, au fur et à mesure de ses apprentissages. Mais même si certains parviennent à compenser totalement leur trouble à force de séances de rééducation orthophonique, certains adultes garderont des stigmates tout au long de leur vie», illustre le Dr Gonzalez. Et gare à ne pas confondre la dysphasie avec de simples retards d’acquisition du langage qui sont, eux, transitoires. «Par exemple, chez un enfant qui dit “crin” au lieu de “train”, des séances d’orthophonie pendant six mois vont suffire à améliorer le symptôme. Alors que quand on est atteint d’un trouble “dys”, c’est pour toujours. Mais on a toute la vie pour trouver des stratégies visant à les contourner», rassure le Dr Olivier Revol. Parmi les enfants qui commencent à parler tard (vers 2-3 ans), environ la moitié rattrape son retard spontanément.
Plus les stratégies d’adaptation seront mises en place précocement (lors de séances hebdomadaires avec un orthophoniste), mieux l’enfant parviendra à s’accommoder de son trouble. D’où l’intérêt de réaliser le plus tôt possible le diagnostic. «Si un enfant de deux ans ne parle pas, il faut le faire examiner par son médecin traitant qui commencera par vérifier s’il entend bien», recommande le Dr Revol. Des otites à répétition peuvent en effet conduire à un épaississement du tympan, à l’origine d’une mauvaise audition. Or comment parler quand on entend mal ou pas ? «Si tout est normal de ce côté, cela vaut la peine de demander un bilan orthophonique. Et à deux ans et demi, un psychologue pourra réaliser un test de QI», poursuit le médecin. «Si l’enfant obtient un mauvais score dans toutes les épreuves dédiées au langage et pas dans les autres, cela nous oriente vers le diagnostic de dysphasie.» L’imagerie cérébrale n’est pas utilisée, sauf exception.
Il est tout à fait possible de vivre normalement avec une dysphasie, même si la période scolaire n’est pas toujours facile. «Beaucoup d’adultes dysphasiques passent complètement inaperçus», souligne le Dr Revol. «Progressivement, des automatismes vont se mettre en place. Mais il est vrai qu’avec la fatigue ou lorsqu’une situation nouvelle se présente, le trouble peut resurgir.»