La poussée de fièvre des prix, qui rend les fins de mois difficiles, pousse les Français à épargner toujours plus. Et le livret A, détenu par près de 55 millions de Français en profite. Les ménages ont placé près de 28,6 milliards d’euros de plus sur ce placement phare en 2023, selon la Caisse des Dépôts (CDC). Un record absolu. Le précédent sommet (28,16 milliards d’euros) datait de 2012, année de rehaussement du plafond du livret A de 15.300 à 22.950 euros. « On observe une préférence marquée des Français pour l’épargne, indique Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne. Les Français sont prudents, et préfèrent économiser notamment sur le livret A. Ce comportement se fait au détriment de la consommation. »
Preuve de cet engouement pour le livret A, en décembre, un mois traditionnellement peu favorable, la collecte nette (dépôts moins retraits) a atteint 2 milliards d’euros. « C’est une surprise. Décembre, avec les vacances et les fêtes de fin d’année, est plutôt un mois de dépense », poursuit l’économiste. En outre, cette collecte positive intervient après deux mois de forte décollecte (-3,7 milliards en octobre, période de paiement de la taxe foncière, et-0,28 milliard en novembre)
Cet appétit pour le livret A, qui a enchaîné les mois de collecte record en début d’année dernière notamment, ne s’explique pas uniquement par la prudence des épargnants. Sa rémunération est désormais – et jusqu’au 31 janvier 2025 – fixée à 3% nets de fiscalité. Ce taux, habituellement révisé deux fois par an en février et en août, en fonction de l’inflation et des taux interbancaires, aurait même pu être meilleur, mais il a été gelé pour ne pénaliser les banques pour qui ce placement est coûteux, et les bailleurs sociaux qui empruntent plus cher quand ce taux augmente. Il n’empêche, peu de placements font mieux aujourd’hui que les 3% du livret A (le fonds en euros devrait rapporter autour de 2,50% bruts en moyenne pour 2023, et il est soumis aux prélèvements sociaux à 17,2%).
Le livret A a aussi l’avantage d’être totalement liquide. On peut retirer l’argent placé à n’importe quel moment. Un atout de poids quand on parle d’épargne de précaution. « Les ménages ont un comportement pragmatique, voire opportuniste. Ils diminuent les liquidités qu’ils détiennent sur leurs comptes courants au profit du livret A, qui les rémunèrent bien », poursuit Philippe Crevel. Près de 64 milliards d’euros ont été retirés des comptes courants, de janvier à novembre 2023, selon la Banque de France. Cet argent a pu être consommé ou réaffecté dans des produits d’épargne.
Certes tous les Français n’ont pas pu mettre de l’argent de côté, même si beaucoup le souhaitent. « Lorsqu’on les interroge, les ménages sont nombreux à dire qu’ils veulent épargner, rappelle Cyril Blesson, économiste associé pour les cahiers de l’épargne-Pair Conseil. Mais ils n’ont pas forcément les revenus pour le faire, et la hausse des prix à la consommation limite leur capacité. » L’inflation s’est élevée à 4,9% selon l’Insee (5,2% en 2022).
Le livret A n’est pas le seul placement à avoir profité du comportement de fourmi des Français. Ils ont aussi largement garni son petit frère, le Livret développement durable et solidaire (LDDS) ( 11 milliards d’euros en 2023, selon la CDC). Ce produit d’épargne proche du livret A est généralement utilisé par les ménages, qui ont déjà empli à ras bord ce dernier (plafond de 22.950 euros) et souhaitent continuer à épargner sur un produit similaire. Ils peuvent y placer jusqu’à 12.000 euros.
Ce n’est pas tout, le livret d’épargne populaire (LEP), réservé aux ménages modestes (moins de 22.419 euros de revenus pour une personne seule), et qui rapportera 5% par an en février 2024 – 6,1% depuis février 2023 -, sort aussi d’une année record (20 milliards d’euros de collecte). Jusqu’à présent, ce placement était régulièrement en décollecte. Ce fut le cas chaque année de 2009 à 2021, avant le rehaussement de son taux en 2022. « Ce placement a vu sa rémunération fortement grimper, mais il a aussi été largement poussé par les pouvoirs publics au travers de campagne d’information. Cela a eu un vrai effet sur la collecte », rappelle Cyril Blesson. Ce placement, plus rémunérateur que le livret A, a probablement fait de l’ombre au livret A chez les ménages éligibles.. Sans le LEP, les dépôts sur le livret A auraient sans doute été encore plus importants. » Les comptes à terme, dont le rendement dépend de la durée de détention (par exemple 3,20% sur un an), ont également fait le plein. 41,5 milliards d’euros y ont été déposés de janvier à novembre 2023 selon la Banque de France.
Cet appétit pour le livret A va-t-il se poursuivre ? Difficile à dire. « La collecte devrait rester à des niveaux élevés en 2024, juge Cyril Blesson, même si elle devait être un peu inférieure à celui de 2023. » Le rendement du livret A ne bougera certes pas, comme l’a promis le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, et son rendement réel (corrigé de l’inflation) pourrait même être meilleur cette année, si la hausse des prix s’atténue. Pour autant, les capacités d’épargne des Français, ne sont pas extensibles. En outre, d’autres produits d’épargne ont aussi leur carte à jouer. Certains assureurs proposent des fonds en euros avec des taux supérieurs à 3% – agrémentés de bonus de rendement. Ils pourraient venir jouer les troubles fêtes. « L’année sera probablement meilleure pour l’assurance-vie, estime Cyril Blesson. Cela pourrait jouer sur la collecte du livret A. » Reste à voir dans quelle mesure.
NOTRE ÉPISODE DE PODCAST