Biopic de Sean Durkin, 2h13

Gréco-romains ? Pas vraiment. À la lutte classique, les Von Erich préfèrent le catch texan, avec ses bons vieux trucs, son folklore et son esbroufe. Ils ont ça dans le sang. Le père a inventé la prise qui donne son titre au film. Il s’agit, avec cet étau de fer, d’enserrer la tête de l’adversaire et de lui comprimer les tempes jusqu’à l’évanouissement. Charmant passe-temps. Tout cela est rigoureusement vrai. Fritz élevait son clan d’une main inflexible. Son rêve était qu’ils deviennent champions du monde dans leur catégorie. Que des fils. Il en exige trop. Comment être à la hauteur ? Cette éducation à la schlague engendre des dommages collatéraux. Une malédiction semble peser sur la famille. Au détour d’une conversation, on apprend que l’aîné est mort à l’âge de 6 ans. Depuis, Kevin protège ses trois frères cadets. Dans leur genre, ce sont des vedettes. Avec leur corps de dieux antiques, leurs cheveux de chanteurs pop (nous sommes en 1980 et quelques), ils se produisent au gigantesque Sportatorium de Dallas, participent à des émissions télévisées, ont droit à la une des magazines spécialisés. Dans la rue, les demoiselles leur demandent des autographes. Cette vie de coups et de paillettes a un prix. Ces gladiateurs d’opérette vont connaître une longue cohorte de tragédies. Il y aura successivement une hémorragie intestinale dans un hôtel de Tokyo, un accident de moto (un pied en moins), une opération bénigne qui tourne mal. Derrière la joyeuse vulgarité, les rodomontades au micro, se cachent une solitude à crever, des destins en lambeaux. Sean Durkin se penche sur ces malheurs avec une brutale mélancolie, une tendresse rugueuse. Brisée de l’intérieur, la mère compte sur Dieu pour veiller sur son petit monde. La fatalité l’a si peu épargnée qu’à nouveau en deuil, elle ne veut pas porter la même robe noire qu’au dernier enterrement. La violence ne se déchaîne pas seulement sur le ring. Elle règne dans cette maison où un monstre dévore les siens, sans se rendre compte de rien. Le patriarche est digne du Prince des marées, de Pat Conroy. La grisaille du foyer contraste avec ce sport coloré, tonitruant. C’est du cirque. C’est du théâtre. Ces adeptes le prennent au sérieux. Leur foi rend cela touchant. É.N.

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Comédie dramatique de Noé Debré, 1h30

Pas de bonne histoire juive au cinéma sans Enrico Macias. Dans le récent Pour ton mariage, autoportrait aux accents alleniens, Oury Milshtein retrouvait les vidéos de son mariage, trente ans plus tôt. En épousant la fille d’Enrico Macias, les noces devenaient un show démesuré à la gloire du chanteur. Dans la dernière séquence du Dernier des juifs, Macias apparaît sur une archive de l’INA. Il interprète J’ai quitté mon pays. Ruben Bellisha, le héros du premier film de Noé Debré, ne quitte pourtant aucune mer bleue. Il laisse derrière lui une banlieue grise. Mais c’est la ville où il a grandi et vécu jusqu’à sa vingt-septième année. Une cité que les juifs ont quittée. « Il y a de plus en plus de noirs dans le quartier ! Mais où sont les Arabes ? », se désole la mère de Bellisha, Gisèle (Agnès Jaoui), nostalgique de l’Algérie. Elle ne cesse de dire qu’ils doivent partir, à Saint-Mandé ou en Israël. Le père, lui, semble parti depuis longtemps. Noé Debré a bien évidemment écrit et tourné Le Dernier des juifs avant les attentats du Hamas du 7 octobre. Mais, si son film a une résonance très forte avec l’actualité, entre le spectre de l’importation du conflit israélo-palestinien et la montée de l’antisémitisme en France, il n’est ni un traité de sociologie ni un réquisitoire victimaire. C’est une comédie en forme de chronique indolente. Elle doit beaucoup à son acteur principal, Michael Zindel. Une espèce de Vincent Lacoste sépharade. Tignasse bouclée, voix nasillarde, silhouette dégingandée, nature burlesque. Il ne sort que pour faire les courses au marché. Il ment comme il respire pour ne pas faire de peine à sa mère. Il lui cache que l’épicier kasher a fermé. Son cousin Asher aussi tchatcheur que Bellisha est timide, tente de lui trouver du travail. Vendre des pompes à chaleur en costume cravate ne semble pas un métier pour lui. Comme aucun métier, d’ailleurs. À l’agence de placement juive où il se rend avec la vague envie de faire son alya, on lui conseille de s’engager dans l’armée. Drôle d’idée. Tout semble glisser sur le jeune homme. Seule la maladie de sa mère, et sa mort prochaine, obscurcit l’insouciance du garçon. La voix off emphatique qui accompagne le quotidien sans éclat de Bellisha est un pastiche d’Albert Cohen. Le Dernier des juifs, c’est Le Livre de ma mère version film de banlieue. C’est surtout une bonne histoire juive, c’est-à-dire une tragédie racontée à la façon d’une comédie. É.S.

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Comédie romantique de Will Gluck, 1h47

Six siècles après sa mort, Shakespeare reste une fertile source d’inspiration. Librement inspiré de Beaucoup de bruit pour rien, ce pastiche met en scène avec beaucoup de verve une Beatrice et un Benedict des temps modernes qui se prennent en grippe après une première nuit peu concluante. Ils sont bien décidés à ne jamais se recroiser sauf que sa meilleure amie (à lui) et sa sœur (à elle) se marient et les convient à la noce en Australie. Pour faire fuir un ancien soupirant, Bea (Sydney Sweeney, Euphoria) propose à Ben (Glenn Powell, Top Gun Maverick) de faire croire à leurs proches qu’ils sont ensemble. De la haine à l’amour, la frontière est mince. Surtout quand les bons mots et les vacheries fusent. Cette Bea, bien du 21e siècle, rend coup pour coup. Fan de musculation mais piètre nageur, Ben et sa vanité d’éphèbe en prennent pour leur grade. Will Gluck s’amuse beaucoup avec la mise en scène, emprunte certaines astuces au théâtre (didascalie comprise), tout en tirant profit des spectaculaires vues et paysages des antipodes. Et se permet au passage un très amusant pastiche de Titanic. Au final, Tout sauf toi est une comédie pleine d’esprit et d’humour, malgré son épilogue couru d’avance. Et s’avère un peu plus profonde que ne laisse le présager la réplique fétiche de Ben « stupide mais amusant ». C.J.

Mélodrame de Todd Haynes, 1h57

Cette colossale bâtisse gris clair, écrasée sous le soleil de Savannah, en Géorgie, pourrait être l’objet d’une toile d’Edward Hopper. Côté extérieur, une terrasse avec vue sur le lac et un barbecue chargé de saucisses en train de griller. À l’intérieur, dans la cuisine avec son frigidaire rempli de boissons et de gâteaux, toute une famille s’anime avant d’accueillir leurs invités en ce 4 Juillet, jour de la fête d’indépendance. Une parfaite représentation de l’« american way of life ». Mais à y regarder de plus près, à l’instar des œuvres du célèbre peintre, cette image tranquille du quotidien semble en cacher une autre. La musique insistante de Michel Legrand, celle du Messager reprise comme générique dans l’émission « Faites entrer l’accusé », accentue le malaise. Car il y a bien eu un crime et une accusée, mais vingt ans auparavant. Quand Joe et Gracie se sont rencontrés, il n’avait que 13 ans, elle en avait vingt-trois de plus. Condamnée pour leur relation, Gracie a fait de la prison, où elle a donné naissance à leur premier enfant. Depuis, ils se sont mariés et mènent une vie de famille apparemment heureuse. Mais l’arrivée d’Elisabeth (Natalie Portman), une actrice célèbre venue les observer pour s’imprégner de son prochain rôle, celui de Gracie dans une adaptation de leur histoire, va tout ébranler. Dans ce nouveau mélodrame après Carol et Le Musée des merveilles, Todd Haynes s’est inspiré d’une affaire qui a défrayé la chronique à la fin des années 1990, celle de Mary Kay Letourneau, une professeur de mathématiques de 34 ans condamnée pour détournement de mineur sur Vili Fualaau, son jeune élève. À travers cette histoire librement adaptée, le réalisateur questionne les dénis et les rapports de domination au sein du couple, tentant de cerner sans y répondre vraiment les ressorts de cette relation vingt ans plus tard, alors qu’ils ont construit une vie ensemble. Son étude de mœurs feutrée ressemble au travail d’un naturaliste devant des insectes. Le spectateur observe Elisabeth observer Gracie et Joe qui observe lui-même des chenilles opérer leur chrysalide dans une boîte. Un jeu de miroirs qui se veut troublant mais devient pesant à force d’insister sur les regards et les mimétismes entre le modèle original et celle qui va interpréter son rôle, entre Julianne Moore et Natalie Portman. Pourtant, ce face-à-face qui promettait ne convainc pas, nimbé dans une atmosphère étrange mais trop artificielle. V.B.

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Comédie musicale de Blitz Bazawule, 2h20

En 1985, Steven Spielberg portait à l’écran La Couleur pourpre, roman couronné du prix Pulitzer. Dans la Géorgie du début du XXe siècle, Celie, une ado noire, passait d’un père incestueux à un mari ignare et tout aussi violent. Vivant dans l’espoir de retrouver ses enfants et sa sœur cadette, elle faisait preuve d’une belle résilience. Si le jeu de Whoopi Goldberg avait été loué, la vision mélo et expurgée du réalisateur américain, soupçonné d’appropriation culturelle, avait été plus contestée. Ce sont ces angles morts qu’entend rectifier cet improbable remake chantant tiré de la comédie musicale à succès de Broadway. Cette nouvelle version déborde d’énergie et capture la force de vie et la foi qui animent Celie (Fantasia Barrino). La chanteuse RnB est à son aise dans les mélodies folks et blues qui se permettent quelques incartades par le gospel. Paroles et musique sont entraînantes, apportent une touche de réalisme magique et happent le spectateur dans l’imaginaire de Celie en quête de ses racines. Plus militante, plus ancrée dans la culture afro-américaine et plus féministe, cette Couleur pourpre se heurte toutefois aux limites de son format. Comment trouver le juste milieu entre la brutalité et le racisme de l’époque et la légèreté presque féerique inhérente à la comédie musicale ? Dans ces moments de faiblesse, le réalisateur ghanéen Blitz Bazawule, collaborateur de Beyoncé, sait que son atout réside dans son trio d’héroïnes : Celie, sa belle-fille trop fière Sofia (Danielle Brooks) et l’envoûtante maîtresse de son mari Shug (Taraji P. Henson). Une sororité à toute épreuve. C.J.