Les «Sages» du Conseil constitutionnel ont censuré très largement la loi immigration, dont de nombreuses mesures de durcissement adoptées en décembre sous la pression de la droite, un développement majeur dans ce feuilleton qui a fait tanguer la majorité. En revanche, un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l’un des objectifs du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a été conservé. Voici les principaux axes retoqués par les neuf juges.
Plusieurs mesures prévues dans la loi immigration ont fait l’objet d’une censure sur le fond : elles ont été décrétées anticonstitutionnelles en tant que telles.
C’est en particulier le cas de l’instauration de quotas migratoires annuels, déterminés par le Parlement après un débat obligatoire, ce qui fera jurisprudence. «Il ne résulte […] d’aucune […] exigence constitutionnelle que le législateur peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration», déclare le Conseil constitutionnel.
La censure de l’article 1er du texte de loi est d’autant plus symbolique que cette mesure était la plus décisive en matière de régulation de l’immigration légale. Le Conseil constitutionnel se borne toutefois à dire qu’une loi ne peut pas forcer la main à l’Assemblée nationale et au gouvernement en matière de fixation de l’ordre du jour du Parlement, mais ne répond pas à l’objection soulevée par les parlementaires de gauche, selon qui des quotas migratoires «soumettraient les ressortissants étrangers à une différence de traitement injustifiée selon que leur demande de séjour a été présentée avant ou après que les quotas ont été atteints.»
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Dans les mesures censurées sur le fond, le Conseil constitutionnel empêche également la loi immigration de faciliter l’identification des étrangers en situation irrégulière, lorsqu’ils sont appréhendés par la police. La loi autorisait en effet les officiers de police judiciaire à «recourir à la contrainte pour procéder aux opérations de prise d’empreintes ou de photographie d’un étranger, en cas de refus caractérisé de ce dernier de se soumettre à ces opérations».
Mais le Conseil constitutionnel objecte que ces dispositions «privent de garanties légales» certaines exigences constitutionnelles, faute de prévoir que ces relevés soient effectués avec l’autorisation d’un magistrat ou en présence de ce dernier.
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La grande majorité des articles censurés l’ont été pour des motifs de procédure, donc de forme. Le juge constitutionnel estime que toutes les mesures contenues dans le texte, et n’ayant pas de lien avec le projet de loi déposé initialement par le gouvernement au Sénat doivent être écartées, au motif qu’il s’agit de «cavaliers législatifs». Il s’appuie en cela sur l’article 45 de la Constitution, affirmant que «tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis».
Très controversée, la mesure allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales a ainsi été totalement censurée. On y retrouvait l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), destinées aux plus de 60 ans, et les allocations personnalisées au logement (APL). Avec la loi, les étrangers auraient dû patienter deux ans et demi pour les travailleurs pour y avoir accès, cinq ans pour les autres.
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Autre mesure retoquée, le resserrement des critères du regroupement familial devait augmenter la durée de résidence requise de 18 à 24 mois. Ce régime particulier d’immigration, encadré par une directive européenne de 2003, permet à un étranger de faire venir son conjoint ou ses enfants en France. Les conditions de ressources nécessaires ne devaient plus être «stables et suffisantes» mais également «régulières», tout en contraignant l’individu à posséder une assurance maladie pour lui et sa famille.
La mesure est balayée puisqu’elle «a été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution» et qu’elle «n’a pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 1er du projet de loi initial».
La loi immigration prévoyait de subordonner la première délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention «étudiant», au dépôt d’une caution par l’étranger : cette «caution retour» visait à garantir que les étudiants étrangers quitteraient le sol français lors de l’expiration de leur titre de séjour.
Cette mesure est écartée également au motif qu’elle ne présente pas de lien avec le projet de loi initial déposé au sénat.
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Plusieurs articles de la loi immigration visaient à modifier les règles d’acquisition de la nationalité française. En particulier, la loi entendait mettre fin à l’automaticité du droit du sol : les enfants nés en France de parents étrangers devaient faire la demande d’obtention de la nationalité française auprès des autorités, et ne la recevaient donc plus automatiquement.
Ces articles ont également été censurés, considérés comme des cavaliers législatifs.
Le Conseil constitutionnel a en revanche validé plusieurs mesures de la loi immigration proposées à l’origine par le gouvernement, dont certaines vivement contestées par l’opposition de gauche au texte de loi. Parmi ces mesures entérinées, figurent notamment :