Trois musées américains, dont le prestigieux Met (Metropolitan Museum of Art) de New York, vont-ils devoir restituer des vitraux du XIIIe siècle provenant de la cathédrale de Rouen ? Une association française, Lumière sur le patrimoine, a déposé fin 2023 une plainte auprès du procureur de la République de Rouen pour « recel de vol » concernant six panneaux. Cinq proviennent de la verrière de la Légende des Sept dormants d’Éphèse (aujourd’hui exposés au Glencairn Museum de Bryn Athyn, en Pennsylvanie, au Met, et au Worcester Art Museum, dans le Massachusetts). Le dernier, Saint Pierre prêchant, provenant de la chapelle de la Nef, se trouve au Glencairn Museum.
Le combat, révélé par Ouest France , est porté par Philippe Machicote, président de l’association, qui s’appuie sur le témoignage de l’archéologue et historien de l’art, Jean Laffont. « Cette histoire est connue, y compris du Metropolitan, qui la mentionne dans deux catalogues sur ses collections d’art médiéval et sur la collection de Raymond Pitcairn» constate-t-il.
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Laffont (1888-1975) avait écrit un article paru en 1972 dans le bulletin de la Société nationale des antiquaires de France. Il y évoque des panneaux qu’il avait inventoriés, en 1911, pour le compte de la commission des monuments historiques. Remisés à la suite des travaux réalisés au XIXe siècle, ces fragments étaient dans des caisses. « Cette année-là, le dépôt était encore riche de morceaux remarquables des XIIIe, XIVe et XVIe siècles, indique-t-il. J’obtins que les vitraux fussent placés dans des caisses neuves. Je pensais les avoir sauvés mais, lorsqu’on ouvrit les caisses en 1931, pour une exposition d’art religieux ancien, on n’y trouva guère que des panneaux en lambeaux, de simples débris, quelques bordures et… des pierres », poursuit-il.
Cinq des six panneaux, transportés dans le plus grand secret, et remplacés par des pierres, auraient été vendus sur le marché de l’art parisien, dès les années 1920. Un dernier a été acquis par le MET en 1980. Ils sont désormais à portée de regards des visiteurs des trois musées américains. « Il faut impérativement qu’ils soient restitués à la France, puisque les cathédrales sont la propriété de l’État, poursuit Philippe Machicote. Ces vitraux, collections publiques, sont inaliénables.»
Sans attendre une restitution en bonne et due forme, le Worcester Art Museum a indiqué, dans le Boston Globe, que « s’il recevait des informations (sur le panneau acquis en vente publique en 1921) ou une plainte, il étudierait cela avec attention » et selon les règles éthiques en pratique au musée. «Nous prenons cela très au sérieux » poursuit le musée. Le MET de New York n’a pas encore réagi. Mais son directeur Max Hollein, a indiqué, en 2023, que le musée allait se mettre en ordre de marche pour étudier la provenance de ses collections. Quatre personnes, ainsi qu’un comité de 18 conservateurs, ont depuis été chargées de «reconsidérer les responsabilités du musée» sur le 1,5 million d’objets d’art qu’il conserve. Avec le but évident de restituer ce qui peut ou doit l’être. «Nous ne voulons pas avoir dans nos collections le moindre objet qui nous soit parvenu de manière illégale, et il y a des cas où nous ne sommes pas les bons propriétaires», a admis Max Hollein.
Le parquet de Rouen a deux mois pour rendre sa décision sur la plainte de Lumière sur le patrimoine. « Quelle qu’elle soit, je ne lâcherai pas » indique au Figaro, Philippe Machicote, qui fait assaut du ministère de la Culture pour qu’il se saisisse du dossier. Avec une part de risque : Machicote avait lancé une première demande de restitution pour des vitraux médiévaux de Notre Dame de Paris, déposés au moment des grands travaux du XIXe siècle. Sa plainte a été classée sans suite.