Envoyé spécial à Marseille

On se demandait si 110 jours avaient suffi aux Bleus pour faire leur «deuil», pour reprendre le vocable employé par le sélectionneur Fabien Galthié. La réponse est tombée. Négative. Empruntés, lents, prévisibles, Grégory Alldritt et ses coéquipiers ont été copieusement dominés par les Irlandais dans ce choc qualifié de «blockbuster opening night» par la presse anglo-saxonne. Pour concéder la plus lourde défaite de l’histoire du XV de France face à l’Irlande, 38 à 17. L’espoir d’un Tournoi des six nations bouclé sur un Grand chelem pour atténuer la désillusion de la Coupe du monde s’est envolé d’entrée. Et les prochains jours s’annoncent tendus, avant le déplacement périlleux en Écosse, la semaine prochaine (samedi à 15h15).

La mi-temps n’est plus qu’à quelques secondes. Les Bleus, réduits à 14 avec l’expulsion de Willemse, sont dans le dur. Face à une équipe d’Irlande qui récite son jeu à la perfection, le néo-capitaine Alldritt et ses partenaires ne cessent d’encaisser les coups sans les rendre. Ou trop timidement. Le XV du Trèfle mène déjà 17 à 3 et la crainte d’une entame de Tournoi des six nations ratée enfle. Mais les gros bras de devant, avec l’énergie du désespoir, tapent dans la muraille verte. Jusqu’à ce que Jalibert n’ait plus qu’à servir Penaud à hauteur pour son 36e essai (à deux unités du record de Serge Blanco). 10 à 17 à l’heure des oranges, on peut parler de petit miracle tant les Bleus ont été dominés. Un semblant d’espoir vite envolé. À la 46e minute, l’ailier Nash redonne de l’ampleur au score (10-24). Et si Gabrillagues se voit crédité d’un essai après un très long arbitrage vidéo (17-24, 53e), les Irlandais se font fort de vite calmer les ardeurs des Bleus et du public du Vélodrome, qui avaient enfin retrouvé un peu de voix, en inscrivant, en force, un quatrième essai synonyme de bonus par leur talonneur Sheehan (17-31, 62e). Son remplaçant, Kelleher, en inscrira un cinquième à la 77e minute pour battre le record de points inscrits face aux Bleus : 38 contre 32… l’année dernière.

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Eux aussi grands brûlés de la Coupe du monde – ils ont également été éjectés en quart de finale, par les All Blacks -, les hommes au Trèfle n’ont pas semblé lestés par le poids des regrets. Ni par l’absence de leur maître à jouer depuis si longtemps (118 sélections), le néo-retraité Jonathan Sexton. Pas de grandes envolées mais une maîtrise collective impressionnante pour les vainqueurs du Grand Chelem 2023. Multipliant les longues séquences de jeu, ils n’ont pas tardé à faire craquer une défense française aux abois. À la 16e minute, Bundee Aki s’amuse au milieu des Bleus. Percussions, passes après contacts. La deuxième ouvre la brèche fatale. Ramos est pris, Penaud et trop court et le métronome Gibson-Park va aplatir une première fois. Pas de révolte tricolore, à peine une fronde pour une pénalité inscrite par Ramos (27e, 3-10) et les géants verts reprennent leur travail de sape. Temps de jeu après temps de jeu, ils poussent la défense tricolore dans ses retranchements. Qui finit par craquer une deuxième fois. Gibson-Park sert son solide deuxième-ligne Beirne à hauteur qui s’engouffre dans une brèche béante. On joue depuis à peine une demi-heure et l’Irlande mène 17 à 3 dans un stade Vélodrome qui a perdu sa ferveur. Un public hébété, tout autant que les Bleus dont les regards perdus ne masquent plus l’ampleur de leur inquiétude.

Il faut dire qu’ils ont joué une partie de cette première période en infériorité numérique. Dès la 8e minute, l’arbitre anglais, M. Dickson, demande le vidéo-arbitrage pour un déblayage de Paul Willemse. Sur le ralenti, on voit son épaule heurter rudement la tête du pilier Porter. Carton jaune et retour du bunker, si contesté pendant la Coupe du monde, pour s’enquérir d’un changement de couleur de la sanction. Le carton restera jaune. Et le deuxième-ligne de Montpellier, autorisé à revenir sur la pelouse phocéenne. L’avertissement ne servira pas de leçon. À la 31e minute, Doris charge, Willemse tente de l’arrêter en restant droit comme un I. Son épaule heurte à nouveau la mâchoire du numéro 8 irlandais. Second carton jaune, synonyme de rouge. Le XV de France va terminer la rencontre à 14 sous les yeux d’un Willemse se prenant la tête entre les mains, conscient de compliquer encore un peu plus la tâche de ses partenaires. Et ce même si les sept avants restants puisent dans leur orgueil pour dominer quelques mêlées fermées et autres mauls.