«Je pense en hiéroglyphes». L’écrivain Christian Jacq est un cas unique de romancier populaire. Il est aussi une pointure dans son domaine scientifique: l’égyptologie.
À 76 ans, l’auteur de Champollion l’Égyptien, succès de librairie qui l’a lancé en 1987, a cultivé assez de familiarité avec la civilisation des pharaons pour réfléchir dans sa langue. Ces hiéroglyphes, «c’est comme de la bande dessinée, avec une symbolique très forte, très subtile», explique ce Français naturalisé suisse, depuis Lausanne, la ville des rives du lac Léman où il rencontre les journalistes. Il a appris à déchiffrer cette graphie avec les plus éminents professeurs, à la Sorbonne. Puis, à force de la lire, l’écriture de l’Égypte ancienne a fini par peupler ses pensées et ses rêves.
«J’ai toujours dit que j’étais un vieux scribe âgé de 3 500 ans. Mais je les sens maintenant, ces 3 500 ans», plaisante-t-il, interrogé par l’AFP. Avant de forger la légende de l’Égyptien réincarné, il a été le petit-fils, côté maternel, d’un Polonais émigré en France juste avant la Seconde Guerre mondiale, qui exerçait un métier proche: écrivain public. Et l’enfant d’un quartier populaire disparu de Neuilly-sur-Seine, à côté de Paris, selon ses dires très bon élève en français et en langues, mais nul en mathématiques et sciences. D’où sa réticence à reprendre la pharmacie paternelle, «qui existe toujours».
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Il cite comme tournant ses 13 ans, en 1961, où il dévore le premier volume d’une Histoire de la civilisation de l’Égypte ancienne du Belge Jacques Pirenne. Sa vocation est née. Marié à 17 ans, docteur en histoire à 32 ans, il devient écrivain presque par hasard, à 40 ans, après avoir parcouru dans les archives du Collège de France les carnets de Jean-François Champollion. Il en fera un superbe roman d’aventures, dont même les experts reconnaissent le souci du détail authentique.
C’est un best-seller inattendu, propulsé par un passage au 13H00 d’Yves Mourousi. «À cette époque-là, dans le dictionnaire, il y avait “Champollion: a découvert les hiéroglyphes”, point», se souvient l’écrivain. Même flair avec Ramsès II, auquel il consacre cinq tomes en 1995 et 1996, pharaon célèbre «sans aucun livre qui ne racontait sa vie», souligne l’auteur. Ramsès III, le dernier des géants est sorti aux éditions XO en 2023. Christian Jacq est aussi derrière une série exceptionnellement longue de romans policiers, dont une bonne partie publiés sous pseudonyme, Les Enquêtes de l’inspecteur Higgins. Dernière livraison en date, la 52e: Crime connecté en janvier.
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Il a aussi publié, en 2022 et 2023, deux tomes d’une encyclopédie illustrée qui synthétise son immense savoir, L’Égypte pharaonique. Le troisième et dernier arrive en 2024. Extrêmement prolifique, il en serait donc à «plus de 30 millions» de livres vendus dans le monde, en une trentaine de langues. Dont, regrette-t-il, «un seul titre en arabe», la langue de l’Égypte contemporaine, mais, ajoute-t-il, plusieurs en islandais, en mandarin, en portugais du Brésil, etc.
Quand on lui demande d’où vient cette longévité, il rétorque: «Vous savez ce que disait Gabin? Les trois conditions pour faire un bon film… Première condition, une bonne histoire. Deuxième condition, une bonne histoire, et troisième condition, une bonne histoire». Chez ses pairs chercheurs, il ne fait pas l’unanimité comme romancier. Mais même ceux qui méprisent sa littérature admettent l’étendue de ses connaissances. Son secret est dans une collection de milliers de fiches, où il accumule les notes sur tous les sujets égyptiens possibles.
Ce qu’il a peu raconté, toutefois, ce sont ses propres voyages. Ce sera bientôt réparé: il écrit ses mémoires, où il pourrait raconter, par exemple, comment une réception en son honneur sur les bords du Nil, dont il était convaincu qu’elle serait gâchée par un vent glacial, a été une réussite. Son éditeur, Bernard Fixot, lui avait conseillé de «prier le dieu du vent, Amon».