Nayib Bukele a remporté une large victoire à l’élection présidentielle du Salvador ce dimanche 4 février. Selon un sondage CID-Gallup réalisé à la sortie des urnes, il a obtenu 87% des voix. L’institut a souligné n’avoir «jamais observé un écart de cette ampleur lors d’une élection».

«C’est la première fois qu’il y a la démocratie dans le pays, a déclaré Nayib Bukele. Il n’y a pas de dictature, les gens votent en démocratie. Le peuple dit: je ne suis pas opprimé, je suis heureux.»

L’incontestable popularité du «dictateur cool» est liée à la politique sécuritaire impitoyable qu’il a imposée pendant son premier mandat. Un simple chiffre montre l’efficacité de cette politique: le nombre d’homicides est passé de 87 pour 100.000 en 2019, année de son accession au pouvoir, à 2,41 en 2023.

Depuis des années, le pays était gangrené par les deux maras (gangs) qui semaient la terreur dans toutes les rues du pays: la Salvatrucha et Barrio 18. Leurs membres, souvent tatoués jusque sur le visage pour se reconnaître, avaient le contrôle de la majorité du pays, rackettant, assassinant, créant un climat d’extrême violence. Leurs règlements de compte se terminaient souvent par le démembrement ou la décapitation d’un adversaire. Circuler dans les rues de San Salvador obligeait parfois à de gigantesques détours si votre taxi n’avait pas payé ce qu’il fallait aux personnes qu’il fallait. Sortir dans les rues à la nuit tombée était impossible sans avoir la protection de l’un des gangs.

«Le Salvador avait un cancer avec des métastases. 85% du territoire était dominé par les bandes, se plaît à rappeler Nayib Bukele. Nous avons pratiqué une chirurgie, une chimio, une radiothérapie et nous allons en sortir guéris, sans le cancer des bandes. Nous avons éliminé ce qui nous tuait. Ce qui attend maintenant le Salvador est une période de prospérité ».

Le remède a été particulièrement radical: en mars 2022, le président Bukele a déclaré l’état d’urgence, qui a autorisé le déploiement de l’armée dans les rues salvadoriennes et les arrestations sans mandat d’arrêt. Au total, il a été procédé à 75.000 arrestations depuis, pour une population de 6,5 millions de personnes. Le président a fait construire une méga prison qu’il appelle «centre de confinement du terrorisme». Aucun avocat ne peut entrer dans cet établissement. Aucun contact n’est possible avec l’extérieur.

Mais les résultats sont là et la population salvadorienne a montré sa reconnaissance en revotant à une très large majorité pour ce jeune président de 42 ans. Cette réélection était normalement impossible selon la Constitution. Mais le «dictateur cool» est parvenu à contourner l’obstacle en démissionnant début décembre, soit six mois avant la fin de son mandat. Si beaucoup de juristes contestent la manœuvre, la population, elle, ne lui en a pas tenu rigueur.

Nayib Bukele est le cinquième enfant d’une famille d’origine palestinienne. Le père, Armando, était un entrepreneur influent du pays. Il a fondé les premières mosquées d’Amérique centrale. Nayib Bukele a été une première fois élu maire en 2012 de la petite commune de Nuevo Cuscatlan, perdue dans les montagnes à 13 kilomètres de San Salvador, la capitale. Il était alors membre du parti de gauche Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), héritier de la guérilla qui a combattu le pouvoir pendant la guerre civile dans les années 1980. Il a ensuite brigué avec succès la mairie de la capitale en 2015. En 2019, il veut se présenter à la présidentielle, mais son parti le trouve trop jeune. Il le quitte et parvient à gagner l’élection dès le premier tour.

Le président salvadorien est souvent accusé de narcissisme exacerbé. Dans la ville où il fut pour la première fois élu, Nuevo Cusctalan, le N de son prénom est au coin de toutes les rues. À l’aéroport de San Salvador, une reproduction de son bureau avec son portrait et celui de son épouse fait l’attraction. Nombreux sont les Salvadoriens à vouloir se prendre en photo dans ce décor présidentiel reconstitué.

Ce dimanche 4 février, Nayib Bukele a promis une période de prospérité, «car il n’y a plus de frein à la création d’entreprise, plus de frein aux études, plus de frein au travail, plus de frein au tourisme». Il estime que l’insécurité vaincue, l’économie du pays va pouvoir enfin se développer. Les Salvadoriens en ont besoin. 70% des emplois sont dans le secteur informel, ce qui ne leur donne pas accès aux prestations de santé et de retraite. 30% des Salvadoriens vivent dans la pauvreté selon la Cepal (Commission économique des nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes). 21% du PIB est généré par les remesas, ces envois d’argent par les expatriés. Dans cette économie dollarisée, Nayib Bukele a voulu rendre le bitcoin monnaie officielle en 2021. Le FMI a alerté sur les dangers de cette décision, rappelant l’extrême volatilité de cet outil financier. La dette de l’État s’élève à 80% du PIB. «La situation sécuritaire s’est améliorée, mais l’économie est encore mal en point, relève l’analyste Michael Shifter, du groupe de réflexion Inter-American Dialogue. Beaucoup de Salvadoriens quittent chaque jour le pays».

La politique sécuritaire de Nayib Bukele et ses résultats sont regardés avec curiosité et parfois envie par les autres pays d’Amérique latine où l’insécurité est de plus en plus préoccupante. Le nouveau président équatorien, Daniel Noboa, a dit vouloir s’en inspirer. Le nouveau président argentin, Javier Milei, a lui aussi exprimé son admiration pour son homologue salvadorien.