Dans le Cognac, les exportations ont chuté de 22,2% en 2023 et certains producteurs se sentent «pris à la gorge», mais l’interprofession soutient que cette baisse était «prévue» et refuse encore de parler de crise. À l’approche du nouvel an chinois samedi, bon indicateur de tendance en Asie, deuxième marché derrière les États-Unis, la filière est en alerte.

«Il n’y a pas de crise du cognac», rassure Raphaël Delpech, directeur général du Bureau national interprofessionnel du spiritueux (BNIC). Pourtant, les exportations sont tombées à 165,3 millions de bouteilles en 2023 au lieu de 212,5 millions en 2022 (qui avait déjà connu un léger recul de 4,8% par rapport à 2021), selon les chiffres du BNIC.

Les raisons de cette baisse sont multiples. L’image de l’alcool s’est dégradée et la consommation baisse en Europe, comme pour tous les vins et spiritueux, explique Jean-Marie Cardebat, professeur à l’université de Bordeaux et spécialiste de l’économie du vin. «Les raisons sont moins structurelles que conjoncturelles», précise-t-il. «Les exportations de cognac n’ont jamais retrouvé la courbe de progression d’avant (l’épidémie de) Covid-19. Par ailleurs, avec l’inflation, les consommateurs se passent des spiritueux, un marqueur social, pour se concentrer sur les produits de première nécessité.»

L’aspect géopolitique a joué également. L’enquête antidumping lancée début janvier par la Chine à l’encontre des brandys européens «est une menace, mais elle n’a pour l’instant aucun impact», selon Raphaël Delpech. Les exportations vers l’Asie ont ainsi progressé de 14,8% en 2023. C’est aux États-Unis que les ventes dévissent (-45,4%), car les revendeurs n’ont pas fini d’écouler les stocks confectionnés pendant la pandémie.

Cette baisse générale est à relativiser, car elle est indexée sur les chiffres de 2022, la troisième meilleure année depuis au moins trente ans en termes de bouteilles exportées. Mais les producteurs en ressentent déjà les effets. «Des gens peuvent être pris à la gorge, mais ce n’est pas la majorité», estime Bertrand De Witasse, gérant de la maison Raison personnelle. Ce dernier a par exemple revu sa trésorerie et adapté ses investissements.

Comme les producteurs ou les tonneliers, plusieurs métiers annexes de l’univers du cognac sont touchés. Le carnet de commandes de Verallia, leader européen de l’emballage en verre, a fondu d’un tiers. Il a donc éteint l’un des deux fours de l’usine de Châteaubernard (Charente) en décembre pour six mois et mis 120 de ses 300 employés au chômage partiel.

«On est à un tournant. On serre les fesses. On ne sait pas si cette baisse va durer six mois, un an, deux ans… Mais je ne suis pas inquiet. Ce n’est pas encore une crise, on est plutôt dans un virage. Et on verra ce qu’on trouve à la sortie», abonde le gérant de Raison personnelle.

Cette baisse pouvait-elle être évitée ? Selon le BNIC, les premiers indicateurs de la décrue sont parvenus à l’été 2022. Elle était donc «prévue et attendue». Pourtant, les investissements ont continué de plus belle et la surface des parcelles a augmenté de 25% en sept ans. «On a planté pour suivre un business plan qui se multipliait par deux, et là on est en train de diviser nos chiffres par deux», pointe Bertrand De Witasse.

Les viticulteurs se sont-ils laissé griser ? Il est trop tôt pour le dire. «On n’a pas de boule de cristal», sourit Jean-Marie Cardebat. L’universitaire évoque une reprise en fin d’année. «Et la consommation de spiritueux étant directement liée au pouvoir d’achat, les exportations devraient remonter simultanément», pronostique-t-il.

«On s’attend à une année en dents de scie, on reste prudents», modère Florent Morillon, élu à la présidence du BNIC en novembre, qui sent toutefois «un léger frémissement aux États-Unis».

La filière croit voir le bout du tunnel. Malgré les inondations qui ont perturbé sa distillation en décembre, la vendange 2023 est la plus importante en volume depuis 30 ans. Elle est déjà surnommée «la récolte du siècle» par Bertrand De Witasse. «Le cognac marchera toujours. La question c’est : dans quelles proportions ?», conclut-il.