Après six mois de stagnation, l’Insee voit la croissance française sortir pas à pas de son hibernation. « Globalement, l’horizon s’éclaircit un peuen ce début 2024, avance Dorian Roucher, nouveau chef du département de la conjoncture de l’institut. Nous assistons à une reprise très modérée. » L’Insee table ainsi sur une progression du produit intérieur brut (PIB) de 0,2 % au premier comme au deuxième trimestre. À ce rythme modeste, l’acquis de croissance à la fin du premier semestre, c’est-à-dire la croissance pour toute l’année 2024 si l’activité n’évoluait plus d’un iota de juin jusqu’à décembre, serait de 0,5 %.

Autant dire que l’hypothèse gouvernementale fixée dans le budget 2024, voté en décembre, d’une croissance autour de 1,4 % ne tient plus la route. Pour atteindre cet objectif, compte tenu des prévisions du premier semestre, l’activité devrait progresser de 1,2 % au troisième, puis au quatrième trimestre. Une gageure à laquelle aucun conjoncturiste ne croit. Dans ses dernières prévisions, datant du début de la semaine, l’OCDE tablait sur une croissance annuelle de 0,6 % seulement pour l’Hexagone, en recul de 0,2 point par rapport à ses projections de novembre, et de 0,6 point par rapport à celles de septembre. La Banque de France, de son côté, vise une augmentation de l’activité de 0,9 % cette année.

À Bercy, tout le monde a bien conscience qu’il y a urgence à acter une révision du cadre macroéconomique. Les économistes du ministère, au Trésor, ont déjà fait tourner leurs tableurs, et l’annonce du nouvel objectif de croissance est attendue dans les prochains jours, idéalement la semaine prochaine si les planètes sont alignées avec Matignon et l’Élysée.

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Il ne s’agit pas que d’une coquetterie d’économistes. De ce chiffre révisé de la croissance découlera une sévère relecture de la trajectoire budgétaire. L’exercice s’annonce douloureux. Initialement, afin de tenir son objectif de déficit à 4,4 % du PIB, l’exécutif se devait de réaliser 12 milliards d’économies, qui restaient d’ailleurs à identifier. Un niveau de PIB plus faible augmentera mécaniquement la pression sur la dépense publique, plaçant le gouvernement devant une alternative impossible : renoncer à tenir sa trajectoire de finances publiques et risquer la dégradation de sa dette ou passer des réformes musclées qui pourraient nourrir la contestation dans la rue.

Seul un sursaut surprise de l’activité viendrait desserrer l’étau de l’exécutif. Malheureusement, les capacités de rebond de la conjoncture semblent bien modestes. La croissance au premier semestre s’appuierait en effet sur le moteur solide mais sobre du retour de la consommation. Elle « bénéficierait de gains de pouvoir d’achat au premier semestre grâce à la baisse de l’inflation, notamment concernant les produits alimentaires et grâce à la dynamique des salaires et des prestations sociales, revalorisés sur l’inflation passée », écrivent les économistes de l’Insee. Après 3,1 % en janvier, la hausse des prix poursuivrait en effet son ralentissement. En juin, elle est attendue autour de 2,5 %.

À cet horizon, ce seraient « les prix des services, tirés par la dynamique des salaires », qui soutiendraient en premier lieu l’inflation. A contrario, les tarifs dans l’alimentaire commenceraient à se stabiliser. Les hausses de prix pour ce segment s’établiraient à 1,5 % en juin, contre 5,7 % en janvier, après un pic autour de 16 % au printemps 2023. L’Insee table sur un taux d’épargne stable, autour de 17 %. « Une baisse plus rapide du taux d’épargne viendrait soutenir la croissance », a reconnu Dorian Roucher. Mais, dans le contexte actuel, rien ne laisse vraiment présager, du moins pour l’instant, un tel sursaut de confiance.

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Du côté des entreprises, le paysage apparaît étonnamment hétérogène en ce début d’année. Ainsi l’industrie, où les branches évoluent classiquement de concert en raison de leurs interdépendances, avance en ce début d’année en ordre dispersé. Le climat des affaires est favorable dans les matériels de transport, mais s’est nettement dégradé dans l’agroalimentaire, en raison de la baisse de la consommation. Cette disparité renvoie l’image d’une conjoncture hésitante, au rebond encore fragile. Une anomalie semble toutefois se résoudre en ce début d’année. Le climat de l’emploi, qui caracolait bien au-dessus de celui des affaires, revient peu à peu se caler au même étiage.

L’augmentation rapide des taux ces derniers dix-huit mois continue de peser sur l’investissement et explique en partie la hausse des défaillances d’entreprises. Ce sont bien sûr l’immobilier et la construction qui souffrent le plus frontalement du resserrement des conditions de financement. Les achats immobiliers des ménages, déjà en baisse de 1,4 % sur un an, au quatrième trimestre, continueraient de se dégrader. Seule une détente des taux directeurs par la Banque centrale européenne (BCE), qui n’est pas attendue avant le printemps, permettrait de relancer l’investissement.