Il est des mots que ni les faits ni le temps ne démentent. Le 26 avril 2023, Robert Badinter, mort à 95 ans dans la nuit de jeudi 8 à vendredi 9 février, donnait sa dernière interview radiotélévisée. «Je pense que nous ne réalisons pas assez, nous Français, qu’il y a une guerre en Europe. Aujourd’hui. À deux heures et quart d’avion de Paris. J’ai connu la guerre, je sais ce qu’est la guerre. Elle est là, elle existe», déclarait-il nettement au micro de France Inter, en faisant référence à la guerre en Ukraine.

L’ancien garde des Sceaux, qui a fait abolir la peine de mort en 1981, était alors invité pour parler d’un ouvrage dont il était coauteur ; Vladimir Poutine. L’accusation (Fayard). «Indiscutablement un acte d’accusation (…) Ce que Poutine entendrait s’il comparaissait devant une justice pénale internationale. Mais pour ça, il faut qu’il quitte le pouvoir…», ajoutait-il face à Léa Salamé. Robert Badinter dépeignait alors un président russe «emporté par l’hubris, par la pulsion qui entraîne un dictateur vers ce que lui croit possible, et qui se révèle ensuite ne pas l’être».

«Quand Poutine a lancé sa guerre d’agression contre l’Ukraine, il a inventé un génocide des Russes dans le Donbass. Ce n’est que pur mensonge. C’est un prétexte à une guerre d’agression qui entraîne inévitablement des crimes de guerre, détaillait l’ancien président du Conseil constitutionnel. C’est le type même de la propagande totalitaire : il suffit de regarder les discours de Goebbels ou Hitler pour mesurer qu’il y a un constant mépris de la vérité et de l’interlocuteur.»

Et de citer «la multitude des crimes commis contre les civils» en Ukraine. «Les bombardements d’hôpitaux, d’écoles, les viols collectifs… C’est ça, l’horreur de la guerre. Les Ukrainiens et la Cour pénale internationale récoltent les preuves. Pourquoi ? Parce qu’on s’est aperçus, au moment du conflit en ex-Yougoslavie, qu’après coup c’était très difficile de réunir ces preuves, et qu’il fallait aussitôt le faire, de façon à ce que l’accusation soit prête»,

Avec emphase, le natif de Paris avait pointé l’aveuglement des jeunes générations sur la situation en Ukraine pour qui ce qui est montré «à la télé est un spectacle» et non «la réalité».

Il avait enfin dressé un parallèle avec les années 1930. «Au même moment où nous faisions passer la semaine de travail à 40 heures, Hitler faisait passer à 60 heures dans les usines allemandes tout ce qui concernait la défense nationale… Et tout concernait la défense nationale. Il y avait une espèce d’aveuglement, on ne voyait pas, ou bien on ne tirait pas les conséquences de ce qui se passait de l’autre côté du Rhin. Et là, je vois les défilés, justifiés, à propos de la question des retraites : mais la première question, c’est la paix et la guerre. Parce que ce ne sera pas l’allongement de l’âge de la retraite, ce sera la vie et la mort. C’est ça la guerre ; c’est la vie et la mort.»