«La question, c’est pourquoi il n’y est pas entré plus tôt ?», s’interroge le chanteur Arthur Teboul aux côtés de l’instrumentaliste Sébastien Wolf concernant l’intronisation au Panthéon, mercredi 21 février, de Missak Manouchian. «Parfois, les chansons nous choisissent» : Feu! Chatterton, groupe de rock lettré, reprend depuis fin 2021 en concert L’Affiche rouge, chanson de Léo Ferré célébrant le héros de la résistance fusillé il y a 80 ans.
L’Élysée annonce l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, figure de la Résistance
Arthur Teboul et Sébastien Wolf sont à l’origine d’un moment suspendu, récemment dans l’émission télé musicale Taratata . Quand ils jouent L’Affiche rouge, le public s’attend à une séquence débridée. «On n’avait rien dit. On l’a faite pendant les balances (répétitions) et, là, Nagui ne bougeait plus, puis il a dit: “vous le faites ce soir !”», se souvient Sébastien Wolf, seul au clavier pour une nappe sonore en apesanteur. «En concert, le silence se fait et, à la fin, les gens nous parlent de quoi ? De cette chanson. Mais c’est la chanson qui est forte, nous ne sommes que des passeurs», décrit Arthur Teboul. On peut saisir l’émotion du public, alors que le titre atterrit pendant les rappels, dans l’album Live à Paris enregistré en avril 2022 au Zénith.
«Arthur la chantonnait depuis longtemps en loges et, un jour, on s’est dit: “vas-y, on la joue ce soir !”», rembobine Sébastien Wolf. «C’était comme une évidence : c’était à l’automne 2021, pile pendant la montée d’Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle», décrypte le multi-instrumentiste. «Il y avait comme une correspondance avec cette chanson dans notre set et la période politique». Le musicien espère faire réfléchir, dans un public «de tout bord politique». «Ceux qui ont fait de mauvais choix, à cause de la crise, de la peur, peut-être comprendront-ils que ce n’est pas l’étranger le problème».
Rescapé du génocide arménien, apatride, réfugié en France, Missak Manouchian rejoignit la résistance communiste (Francs-tireurs et partisans – Main-d’oeuvre immigrée/FTP-MOI), parmi laquelle il s’illustra à la tête d’un réseau très actif. Arrêté, il fut fusillé par les Allemands à 37 ans, le 21 février 1944, avec une vingtaine de ses camarades. Dix d’entre eux figuraient sur l’Affiche rouge placardée dans les rues par l’occupant, qui les présentait comme «l’armée du crime».
Louis Aragon rendra hommage en 1955 à ces «vingt et trois étrangers et nos frères pourtant» dans son poème Strophes pour se souvenir, s’inspirant de la dernière lettre que Missak Manouchian adressa à sa femme Mélinée (qui lui survécut 45 ans et entrera également au Panthéon). Un poème repris en chanson en 1961 par Léo Ferré. Un vinyle en édition limitée, avec Missak Manouchian sur la pochette, paraît d’ailleurs vendredi avec les versions de Léo Ferré et de Feu! Chatterton.
«Dans le groupe, plusieurs d’entre nous ont des grands-parents qui ont connu la guerre dans la résistance ou ont été déportés. Ça résonne énormément chez nous mais ça résonne encore plus avec l’actualité», reprend Sébastien Wolf. Et de souligner le «besoin de se rappeler ce qui s’est passé il n’y a pas si longtemps en France». Les mots posés par Aragon remontent à près de 70 ans. «Ça peut paraître loin mais on réalise à quel point ces mots ont une acuité qui fait flipper», rebondit Arthur Teboul.
«Il suffit de pas grand-chose, un peu de confort, de lâcheté, pour laisser les choses s’installer – la haine de l’étranger – et on est pris au piège, c’est trop tard», synthétise le chanteur. «Nous sommes des chansonniers, nous ne pouvons qu’éveiller un sentiment, parler à hauteur d’humain, dire comment tu trouves en l’autre ton égal», conclut-il.