À Marcoussis

Quel bilan tirez-vous des deux premiers matches de ce Tournoi ? Qu’avez-vous apprécié et qu’est-ce qui a pu vous énerver ?Patrick ARLETTAZ.- Ce qui m’a énervé, je ne vais pas le dire (sourire)… Le premier match, pas grand-chose sincèrement. On a joué à 14 très vite face à des Irlandais dont on connaît la rigueur et la capacité à être en place. Nous, nous ne l’étions pas. On n’a pas fait un bon match, donc voilà. Après ce match difficile pour tout le monde, avec beaucoup de déception et de pression, on s’est concentré sur trois choses essentielles pour le déplacement en Écosse. D’abord avoir un état d’esprit et une solidarité irréprochables. Ça, c’est vrai quel que soit le niveau : après une telle désillusion, on devait se resserrer. C’était le minimum, montrer que ce groupe était suffisamment solide pour se relever. Ensuite, on s’est concentré sur être plus solide en défense, plus réaliste et plus opportuniste en attaque. Sur nos lancements, notre capacité à marquer quand on entre dans les 22 adverses… Et, enfin, le plus ambitieux : gagner en Écosse. Le groupe a été merveilleux puisqu’il a rempli ces trois objectifs face à un adversaire sous-estimé par rapport à sa valeur.

Malgré cela, votre équipe a encore rencontré des difficultés à franchir la défense adverse…C’est vrai, on a franchi trop peu de fois contre l’Écosse, mais plusieurs paramètres expliquent cela. Les joueurs ont été touchés par la défaite contre l’Irlande. Or ils ont besoin de confiance pour faire les choses avec spontanéité et vitesse. Dès qu’il y a un peu de doute, tous les rouages en prennent un coup. Un petit retard tout le temps, à ce haut niveau, c’est préjudiciable. Ça empêche tout. On l’a touché par moments mais trop peu de fois, c’est vrai. Mais, de là où on venait, ce n’était pas possible d’ambitionner qu’on le fasse beaucoup plus souvent. Si ça veut dire qu’à l’avenir, ça doit être plus souvent, oui, c’est évident. C’est ce qu’on s’attache à faire. Mais sans langue bois, on a besoin d’abord de retrouver de la confiance. Et ça passe d’abord par renouer à tout prix avec la victoire. Il n’y a que la victoire qui peut nous remettre sur de la marche avant.

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Quelles seront les ambitions contre l’Italie ?De continuer à gagner déjà. C’est une ambition importante. Elle n’est pas suffisante, je l’entends bien, mais elle est nécessaire. Donc d’abord une victoire. Ensuite, on veut à chaque match être plus performant dans notre jeu offensif, dans nos circuits, dans notre capacité à menacer les défenses, dans notre capacité à jouer haut, à défendre, à peser plus en conquête, à gagner nos duels, à jouer en avançant… Le rugby c’est un tout. Mais l’ambition première, je le redis, est de gagner. L’équipe de France se doit de gagner. Plus vous mettez tout le reste, plus vous êtes performants sur tous les secteurs de jeu, c’est pour avoir encore plus de chances de gagner. On est conscient qu’il nous faut progresser sur plein de points pour avoir de plus en plus d’armes pour gagner. Ce n’est pas plus compliqué que ça.

Mais en équipe de France, il n’y a guère de temps pour tout mettre en place.Je découvre cela oui. J’ai désormais le double de sélections en tant qu’entraîneur (2) que de joueur (1), c’est magnifique (sourire). Mais je vous donne les étapes. De l’extérieur, on a l’impression que d’un coup de baguette magique tout va venir… On m’a dit que ce groupe était merveilleux, que les joueurs s’aiment vraiment, que ce ne sont pas des starlettes. Comme dans un couple, c’est facile, quand tout va bien, de dire on s’aime. C’est dans la difficulté que l’on voit le vrai visage. C’était le cas après l’Irlande. Et on est allé gagner en Écosse. Donc tout ce qu’on m’avait dit sur ce groupe était vrai.

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Après l’Écosse, Thomas Ramos a dit que les joueurs avaient besoin de se libérer. Que voulait-il dire ?Exactement ce que je viens de dire. Quand on aura plus de confiance, plus de maîtrise, plus de rythme, on jouera plus libérés. Pour être plus ambitieux, plus efficace, on a besoin de cette confiance. Elle permet de se libérer, donc d’avoir plus d’automatismes, de se retrouver avec plus de liant, de manière plus fluide. Ce sport rappelle à quel point, avant de prendre du plaisir extrême, il nécessite énormément d’efforts et de rigueur. Pour que ça devienne naturel, pour n’avoir plus à réfléchir. Ça part de la conquête, d’une grosse défense avant d’avoir une séquence longue qui mène à l’essai. Mais si c’était facile ça se saurait…

La charnière Maxime Lucu-Matthieu Jalibert est critiquée. Pour quelles raisons ne reproduisent-ils pas en bleu ce qu’ils font avec l’UBB ?C’est encore la même chose. Il y a une certaine logique. Quand l’équipe hésite, va moins vite, que les libérations sont moins fluides, qu’il y a un peu de doute, des ajustements à trouver, qui en pâtit ? Ceux qui doivent faire jouer 15 mecs face à 15 autres mecs qui veulent les en empêcher. Ça se joue à une seconde entre la bonne et la mauvaise décision. Le rythme n’est plus le même, la défense n’est plus la même, la fragilité qu’on avait détectée n’est plus au même endroit… Vous ne pouvez pas me dire que cette charnière est composée de mauvais joueurs. Ils ne font pas exprès d’être un peu moins performants avec l’équipe de France qu’avec l’UBB. Vous ne pouvez pas penser cela…

En renouvelant votre confiance aux cadres, ne prenez-vous pas le risque d’installer les titulaires dans un fauteuil ?Est-ce que ça marche ? Le match de l’Écosse montre que oui. On gagne parce qu’il y a cette réaction. S’ils se sentaient installés, on n’aurait pas gagné. Ils se sentent investis par la mission. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura jamais de changements. Il y a une émulation et ça se fera au rythme où on le décidera. On n’est pas aveugle, on voit les potentiels qui tapent à la porte. Et ceux qui tapent à la porte sont bien conscients qu’ils mettent la pression sur les titulaires…

L’Italie est-il un adversaire idéal pour refaire le plein de confiance ?Je ne crois pas aux matchs providentiels. Je crois à notre construction à nous. On ne nous donne rien, il faut tout aller se gagner. Si on veut enchaîner les victoires, Il faut aller se les chercher en travaillant plus, en étant plus rigoureux dans tout ce qu’on fait. La France a battu largement l’Italie lors de la Coupe du monde mais, six mois avant, à Rome, le match avait été difficile. Avec la même équipe pourtant. Les matches se suivent et ne se ressemblent pas. On a vu les Italiens faire jeu égal avec l’Angleterre, ils ont une grosse capacité offensive. Ils ont le niveau pour faire un grand match contre nous et ils ne nous donneront rien. C’est avec notre travail qu’on ira chercher ce que l’on se doit d’aller chercher. Ce ne sera qu’à ce prix-là.

Mais c’est un adversaire moins fort que l’Irlande et l’Écosse…Est-ce qu’on se doit d’être en progrès par rapport à l’Écosse ? La réponse est oui. On va faire en sorte d’être meilleur qu’en Écosse, en étant un peu plus ambitieux sur notre capacité à être plus libérés. Je suis au courant de ce qui se dit dans la presse, des critiques. Je trouve ça très juste. Je n’ai pas de problème avec ça. La presse est ambitieuse pour nous mais, rassurez-vous, on est également très ambitieux pour nous. Au soir de la défaite contre l’Irlande, c’était très ambitieux d’envisager gagner en Écosse. On doit être meilleur dans notre rugby ? Oui, d’accord, pas de souci. On est conscient qu’on doit faire une prestation meilleure. Pas pour vous satisfaire mais pour avoir plus de chances de gagner nos matches et de manière plus affirmée. Je n’entraîne pas pour qu’on arrête de me critiquer. J’entraîne pour qu’on ait de plus en plus de chances de gagner.

La difficulté des Français dans les duels aériens est un vrai problème, et depuis longtemps. Comment y remédier ?Effectivement, nous ne sommes pas performants sur ce secteur. C’est embêtant car, l’une des métamorphoses du rugby moderne, c’est qu’il y en a de plus en plus. Dans les quinze mètres, nos ailiers ont plus de duels aériens que de ballons à jouer. Il faut qu’on soit meilleur sur notre capacité à monter en l’air, sur le timing, sur ce côté anxiogène aussi à projeter son corps en l’air avec des mecs qui arrivent de partout. Ce n’est pas anodin. Mais ça passera aussi par là pour disposer d’un jeu plus consistant qui nous donne plus de chances de l’emporter. On avait travaillé avant l’Écosse sans résultat probant, je vous l’accorde. On travaille à nouveau beaucoup sur ce secteur, en vidéo, en déverrouillant la parole. C’est l’un des focus de cette semaine, mais pas le seul. On fait notre maximum mais on est conscient de n’être pas bon là-dessus. On doit progresser, être meilleur dans les duels aériens, que ce soit offensif ou en réception.

Fabien Galthié est très friand des data. Est-ce que vous avez découvert leur importance ?Même si j’arrive de Perpignan, je ne les découvre pas, non ! Là-bas, on avait deux-trois trucs : la calculatrice, la télévision, qui est arrivée en même temps que la lumière il y a deux-trois ans… Je plaisante, ne l’écrivez pas (rires). Sur la multitude de data, Fabien est plus performant que moi bien sûr. Mais j’ai trouvé des choses intéressantes sur de nouvelles façons d’analyser le jeu, notamment l’efficacité des circuits, les forces et les faiblesses de l’équipe adverse, mais aussi de notre équipe. Ils fournissent une analyse pointue, et assez fiable, sur laquelle on peut s’appuyer. Ça permet d’aller plus loin. Ça donne une tendance, qui bien souvent est vérifiée par l’analyse-vidéo. Après, il faut aller dans le plus fin mais ça met en éveil.

Propos recueillis en conférence de presse