Jean Gabin lui a dit comme le plus beau des compliments à son charme: «Il suffit de te regarder et on te pardonne tout….» Micheline Presle, l’héroïne du Diable au Corps, la Sainte Chérie de nos jeunes années, nous a quittés ce mercredi. «Micheline s’est éteinte paisiblement, à la Maison nationale des artistes de Nogent-sur-Marne» dans le Val-de-Marne, a déclaré son gendre Olivier Bomsel, ajoutant que les obsèques se dérouleraient dans l’intimité.

L’actrice, qui était âgée de 101 ans, est une légende du cinéma. À l’écran elle joua avec Gérard Philipe, Errol Flynn, Louis Jourdan, Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman et bien sûr Jean Gabin, les plus grands monstres sacrés du septième art du XXe siècle.

Cette comédienne aux yeux émeraude, au sourire éclatant et doux à la fois, que François Truffaut, alors encore critique de cinéma, considérait comme «la plus grande actrice du monde», la divine Falbalas de Jacques Becker possédait un jeu «d’instinct» qui s’adaptait aux scénarios les plus sombres et aux histoires les plus légères. Et comme un miracle de longévité, plus d’un demi-siècle après ses débuts, sa fille la réalisatrice Tonie Marshall ne manquera jamais de lui confier des rôles à la mesure de son talent dans ses comédies de mœurs.

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Micheline Chassagne, son nom à la ville, voit le jour le 22 août 1922, rue des Bernardins, au bout du Quartier Latin et à quelques encablures du Jardin du Luxembourg, qu’elle chérira comme une Madeleine de Proust toute sa vie. La passion pour le cinéma de cette enfant au caractère aussi espiègle que bien trempé s’éveille dès 1932. Son père, un banquier d’affaire, l’emmène pour la première fois voir un film. La fillette n’a alors que dix ans et elle s’émerveille devant les séductrices et les séducteurs de l’époque qui ont pour nom Henri Garat et Jean Murat. ​

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Fascinée par, ce qui est encore les prémices du cinéma parlant, dans les années qui suivent, elle attend patiemment le son de la cloche de la fin de l’école, le collège de Notre-Dame-de-Sion, pour aussitôt courir dans les salles obscures des cinémas de son quartier. Là, elle s’évade et s’imagine peut-être qu’un jour, elle fera rêver aussi les spectateurs.​ Le rêve devient réalité et un premier miracle se produit en 1938. Micheline qui n’a que quinze ans décroche un petit rôle dans «Je chante», un film dont Charles Trenet est la vedette.

Elle s’inscrit au cours de Raymond Rouleau. Le hasard, toujours lui, fait bien les choses. Le jour de la première audition Rudolph Josef, l’assistant du réalisateur allemand Georg Pabst, est présent. Il cherche pour le film Jeunes filles en détresse des jeunes héroïnes. Il trouve Micheline épatante de naturel. L’élève prodige de Rouleau décroche ainsi son premier grand rôle et son pseudonyme. Elle interprète Jacqueline Presle… comme une perle, un joyau.

Dans le film de Pabst où elle incarne une meneuse, une rebelle, Micheline Presle crève l’écran. Abel Gance, privilégié, voit les rushes et décide de l’engager pour camper deux personnages, une mère et une fille, dans Paradis Perdu. Nous sommes en 1940. La nouvelle petite merveille du cinéma français réalise cette prouesse alors qu’elle n’a pas encore 18 ans. Le film sort sur les écrans après la défaite de la France face à l’Allemagne. Après l’Armistice, elle décide de quitter la capitale pour Cannes où les prémices du Festival ont vu le jour une année auparavant.

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Dans cet univers frivole, il faut pourtant bien s’occuper. La rumeur et les journaux, que l’on n’appelle pas encore people, la fiancent au très séduisant Louis Jourdan, dont le père possède l’hôtel du Carlton. L’idylle fera long feu. Le soir on sort au théâtre. Micheline Presle découvre un jeune premier surdoué. Il se nomme Gérard Philip, sans le e final. Elle ne l’oubliera pas.​ L’actrice doit attendre la fin 1944, après la Libération pour retrouver un rôle à sa mesure. Jacques Becker qui l’a rencontrée après Goupi Mains Rouges lui propose de jouer l’héroïne de Falbalas, une histoire d’amour dans le milieu de la mode. À l’instar de Félicie Nanteuil Micheline Presle confessera plus tard garder une tendresse rare pour «ce film lumineux». ​

La comédienne se frotte ensuite à Maupassant. Sous la direction de Christian-Jaque et sur des dialogues d’Henri Jeanson, elle devient «Boule de Suif», une «putain patriotique», comme l’écriront quelques critiques de l’époque, qui résiste à sa manière aux Prussiens lors de la guerre de 1870 en poignardant un officier qui voulait abuser d’elle.

En 1946, l’actrice rencontre Jean Cocteau qui lui demande de lire Le Diable au corps de Radiguet. Le roman et son parfum de scandale lui semblent parfaits. Elle contacte Autant Lara Aurenche et Bost, qui viennent la voir à Bruxelles où elle joue une pièce Am Stram Gram d’André Roussin. Ils sont emballés d’autant plus que Micheline Presle apporte en cadeau l’acteur idéal pour jouer François Jaubert, le héros du film, Gérard Philipe. Elle connaît son talent depuis 1941 où elle l’a vu jouer au théâtre à Cannes au côté de Madeleine Robinson. Ce film, qui fait un scandale à l’époque car il narre l’histoire d’une jeune femme qui prend un amant alors que son mari risque sa vie dans la guerre des tranchées en 14-18, restera comme l’œuvre majeure de sa carrière.

Après Le Diable au corps, les sirènes d’Hollywood la poussent à tenter sa chance en Amérique. De l’autre côté de l’Atlantique, elle rencontre Bill Marshall, qui est marié à une grande star de l’époque, Michèle Morgan. L’homme est séduisant, est un agent influent à Los Angeles et est aussi un acteur qui a joué avec Errol Flynn – et Ronald Reagan -, dans La piste de Santa Fé. Le coup de foudre est immédiat et les deux tourtereaux se marient à Santa Barbara quelques mois après, le 3 septembre 1949. Cette union fera long feu, accouchera de quelques belles rencontres avec Tyrone Power, Errol Flynn, Fritz Lang… et de films sans grand intérêt dans lesquels Micheline Presle joue selon ses propres mots – dans un excellent anglais tout de même -, «la jolie Française de service». Le seul souvenir heureux de cette période américaine sera la naissance de sa fille Tonie qui naît le 25 novembre 1951 en France après un départ précipité des États-Unis.

Vedette incontestée avant et juste après la guerre de 40 après l’intermède désastreux en Amérique, la carrière de Micheline Presle a du mal à reprendre à son retour en France. La décennie 50 (Si Versailles m’était conté, La Mariée est trop belle, Christine…) ne lui offre que des rôles de jolies femmes dont la beauté se fane irréversiblement. La passion du cinéma ne l’abandonne pas et en bonne joueuse de poker qu’elle est, à la fin des années sa bonne étoile brille à nouveau. Elle tourne d’abord sous la direction d’un maître du septième Joseph Losey, un polar à l’intrigue complexe, l’enquête de l’inspecteur Morgan. Puis c’est au tour de Jean Delannoy de lui proposer le personnage de Perle Germain Joubert dans Le Baron de l’écluse adapté d’une nouvelle de Georges Simenon. Dans ce film dialogué par Michel Audiard, sa gouaille distinguée de Parisienne du quartier latin fait merveille. Jean Gabin, son partenaire à l’écran, ravi de lui donner la réplique dira alors de celle qu’il appelle Mademoiselle Presle: «Elle joue à la perfection une demi-mondaine, très mondaine.»

La spirale vertueuse du succès va même prendre un tour inattendu en 1964 avec ce que Micheline Presle nommera avec humour dans ses mémoires «la sainte série». En 1963, Jean Becker l’appelle pour lui confier le personnage d’Eve Lagarde, une femme d’une quarantaine d’années, émancipée, libérée, dont le caractère annonce les bouleversements sociétaux de mai 68. Ce feuilleton intitulé Les Saintes chéries comme l’œuvre de Nicole de buron qui l’a inspiré, retiendra des millions de Français devant l’unique chaîne de feu l’ORTF durant les cinq années que dura sa diffusion.

Après avoir travaillé avec une joie non dissimulée avec des metteurs en scène qu’elle qualifie de «novateurs» comme Jérôme Savary et Jacques Davila lorsqu’elle recevra un césar d’honneur en 2004, la comédienne a l’insigne de pouvoir jouer sous la direction de sa propre fille Tonie Marshall. La comédienne, fière la réussite de son unique enfant, écrira dans Di(s)gressions: «Elle s’est prise en mains de façon magistrale.» Et toujours humble face à une vie qui avait d’elle une immense vedette à 16 ans, elle aimait répéter les derniers jours de sa vie, que dans les jardins du Luxembourg où elle aimait se promener les gens qui la reconnaissaient toujours, l’arrêtait pour lui dire: «Ah, je vous ai vue dans le film de Tonie Marshall.»

Le Figaro présente, ci-dessous en images, le florilège des grands films de Micheline Presle, de Félicie Nanteuil à Vénus, Beauté (Institut) en passant par Le Diable au corps et Le Baron de l’écluse.

Félicie Nanteuil de Marc Allégret en 1942

Falbalas de Jacques Becker en 1944

Boule de suif de Christian-Jaque en 1945

Le Diable au corps de Claude Autant-Lara en 1947

L’enquête de l’inspecteur Morgan de Joseph Losey en 1959

Le Baron de l’écluse de Jean Delannoy en 1960

L’Assassin d’Elio Petri en 1961

Vénus Beauté (Institut) de Tonie Marshall en 1999