«Je garde de bons souvenirs de ces années… même si on le haïssait par moments !» De 1992 à 1994, Alain Roche a passé deux saisons sous les ordres d’Artur Jorge, décédé ce jeudi à l’âge de 78 ans. Deux années à la dure, mais qui ont mis le Paris Saint-Germain sur les rails du succès pour la suite et posé les bases. Consultant Canal , l’ancien défenseur central du PSG se souvient pour Le Figaro, évoquant notamment un Artur Jorge transfiguré à l’approche des matches européens et le déclic opéré lors d’un succès à Naples, en 1992.
LE FIGARO. – Quels sont les premiers souvenirs, les premières images qui vous viennent en tête ?Alain Roche. – Pas mal… Le premier contact avec lui… C’est quelqu’un qui ne souriait pas beaucoup, sous sa moustache (sourire). Il était assez austère. Pas très communicatif par moments et encore moins avec les remplaçants que les titulaires (sourire). Avec lui, je garde déjà le souvenir de nos titres, et notamment le gain du championnat (1994). Ce n’était pas rien (le deuxième sacre de l’histoire du club en D1, NDLR). On savait ce qu’était le haut niveau, mais pour le très haut niveau de la coupe d’Europe, il nous a beaucoup aidés, dans la rigueur, le sérieux et surtout la concentration. Il avait déjà gagné la Ligue des champions avec Porto (1987). Il nous a permis de gagner en régularité et de nous faire connaître sur la scène internationale. On a fait quelques bons matches, que ce soit à Naples (voir la dernière question, NDLR) ou ailleurs… Après, il manquait peut-être au PSG une expérience que certains clubs avaient, une aura européenne qu’on n’avait pas, ce qui a sans doute causé certaines décisions arbitrales contraires par moments, notamment face à la Juventus (en demies de Coupe de l’UEFA 1993, NDLR) ou d’autres équipes. Mais en termes d’implication et de concentration, il nous a énormément appris. Et c’est pour cela qu’on a fait un très beau parcours européen par la suite (au moins en demies de 1993 à 97, dont la victoire en Coupe des coupes en 96, NDLR). Il a été à la base de tout cela.
Comment était-il au quotidien, à l’entraînement ? Les entraînements n’étaient ni agréables, ni ludiques, il faut être honnête. Quasiment toujours pareil et axé sur le don de soi, beaucoup de courses sans ballon. Il voulait faire naître un esprit de solidarité entre les joueurs, un peu contre lui aussi parce qu’on était toujours assez énervés par le contenu des séances (rires). Quand il n’était pas satisfait, c’était encore pire, il était capable de nous faire faire des 100m aller-retour sur le terrain pendant une heure ! Le ballon prenait l’air de temps en temps mais on ne le touchait pas ! C’était une manière de faire et une autre époque aussi, je ne pense pas que ça fonctionnerait maintenant. Mais il y avait une vraie solidarité chez les joueurs et ce n’est pas pour rien si on a eu des résultats dans la foulée. En tout cas, ce n’était pas quelqu’un qui parlait beaucoup, quasiment pas, qui félicitait peu. Ça venait peut-être d’une peur qu’on manque d’humilité, qu’on prenne la grosse tête. Je l’ai revu des années plus tard, ce n’était plus du tout le même Artur Jorge, beaucoup plus souriant, un peu blagueur, ravi de nous revoir, nous rappelant d’extrêmement bons souvenirs de victoires et d’autres. Mais en tant qu’entraîneur, il ne donnait rien ! Je me souviens aussi d’un homme qui se métamorphosait pour la coupe d’Europe.
Dans quel sens ? C’était dans son ADN je pense, les discussions d’avant-match étaient plus longues, c’était beaucoup plus précis, un sens du détail encore plus poussé, notamment sur les joueurs qu’on avait en face. Il envoyait des gens comme Joël Bats faire un rapport en détail sur chaque joueur adverse avant les matches de coupe d’Europe. On savait comment ils jouaient. C’était là où il avait envie de réussir. Et grâce à cela, on a gagné la coupe d’Europe (en 1996 sous Luis Fernandez, NDLR). On a gagné le championnat aussi (en 1994).
À lire aussiFootball : décès du Portugais Artur Jorge, ancien entraîneur du PSG
Quelles étaient ses principales qualités comme coach ? Il savait jouer sur les qualités des uns et des autres, il savait toucher les gens. On a beaucoup fait de travail tactique, et notamment sur les coups de pied arrêtés, on était brillantissimes dans ce domaine. On n’était pas très beau à voir jouer mais on était d’une extrême rigueur, très solide. C’est ce qu’il nous a appris. Et pour ma part, en termes de concentration, c’est ce qui me manquait un peu. À ses côtés, j’ai énormément appris. Je garde de bons souvenirs de ces années… même si on le haïssait par moments ! Quand les entraînements sont toujours les mêmes, que vous ne touchez pas le ballon pendant 1h30, vous êtes parfois agacé. Il gardait tout pour lui et, comme me l’avait dit Denis (Troch, adjoint de Jorge), c’était une manière de travailler, de manager qui était la sienne. Il fallait l’accepter. C’était un autre temps. Mais ça a porté ses fruits et il était à la base du beau parcours qu’on a fait pendant des années. On a vécu de beaux moments. La notion de plaisir, elle était dans les résultats mais pas à l’entraînement ! Mais c’est peut-être pour cela qu’en match, on en prenait davantage et on lâchait les chevaux (rires).
Si on ne doit retenir qu’un match de son passage sur le banc parisien, ce serait sans doute la victoire face au Real en 1993 ? Je ne l’avais pas joué, j’étais suspendu. Mais je dirais que la victoire à Naples a servi de déclic (victoire 2-0 au San Paolo lors du 2e tour de Coupe de l’UEFA en 92, NDLR). On s’était rendu compte qu’on était capable de malmener et battre des équipes qui comptent dans le football européen, comme Naples, et ça nous a fait prendre conscience de nos qualités. C’était un déclencheur. Bref, ce sont de bons souvenirs. Quand on gagne avec les gens, ce sont toujours de bons souvenirs. Il a imprimé une mentalité de compétiteur.