La France a proposé vendredi la création d’un «produit d’épargne européen» avec les Etats de l’UE qui le souhaitent, afin de mobiliser les capitaux privés au service de la croissance, une idée aussitôt rejetée par l’Allemagne. Ce produit viserait à mieux orienter les économies des citoyens de l’UE vers le financement à long terme des entreprises, à l’aide d’une fiscalité attractive. Il pourrait prendre par exemple la forme d’un plan d’épargne retraite (PER) européen, explique-t-on au ministère français des Finances.
«Lançons dès 2024 un produit d’épargne européen dont nous définirons les caractéristiques, le rendement, avec les Etats volontaires», a proposé le ministre français des Finances Bruno Le Maire, avant une réunion avec ses homologues des Vingt-Sept à Gand (Belgique). Selon lui, une poignée de pays pourraient dans un premier temps participer à cette initiative pour construire une union des marchés de capitaux en Europe, un serpent de mer des sommets européens.
«Ce sera peut-être 2, 3, 4, 5 Etats, peu importe. Mais comme il est impossible de démarrer tout de suite à 27, démarrons à quelques-uns», a dit Bruno Le Maire, sans préciser quels pourraient être ces Etats volontaires. L’Union européenne souffre de la fragmentation de ses marchés capitaux, morcelés entre les différents pays membres. La capitalisation des marchés d’actions européens est quatre fois inférieure à celle des marchés américains. L’UE discute depuis des années de propositions pour bénéficier d’effets d’échelle comparables aux Etats-Unis. Mais ces débats achoppent sur des intérêts nationaux divergents.
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«Il y a chez moi beaucoup d’impatience (…). Je ne viens pas à Gand rencontrer mes amis ministres des Finances pour taper la causette», a lancé Bruno Le Maire. «Je ne viens pas pour publier le 10e, 15e ou 20e communiqué sur l’Union des marchés de capitaux dans lequel il n’y a rien ou presque rien». Des marchés efficaces permettent aux entreprises de financer plus facilement leurs projets et aux particuliers de trouver de meilleures offres d’investissement.
Il existe certes déjà un produit d’épargne paneuropéen, créé en 2019, le PEPP (Pan European Personal Pension Product) mais sa distribution se heurte à une tarification et une fiscalité non harmonisée d’un Etat membre à l’autre. Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, a cependant rejeté à Gand l’initiative française.
La France et l’Allemagne ont signé récemment une tribune commune pour relancer le projet d’union des marchés de capitaux, a rappelé Bruno Le Maire, «mais c’est bien quand les actes rejoignent les paroles», a-t-il raillé. «Je plaide pour une union non pas à plusieurs vitesses, comme le dit mon ami Bruno, mais à pleine vitesse, c’est-à-dire qui avance rapidement avec les 27», lui a répondu Christian Lindner. «Il n’est pas exclu que des initiatives bilatérales ou en petit comité soient aussi envisageables mais l’objectif doit être d’avancer ensemble», a-t-il affirmé.
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Bruno Le Maire a par ailleurs proposé aux gestionnaires d’actifs, aux banques et bourses de l’UE «une supervision européenne volontaire» qui pourrait être exercée par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) basée à Paris. Il a également mis sur la table un projet de «garantie pour la titrisation», de façon à ce que «les titres arrêtent de peser sur le bilan des banques» et qu’elles puissent ainsi «prêter plus aux particuliers et aux entreprises».
«L’argent des Européens dort au lieu de travailler», a affirmé le ministre. «Si nous voulons que l’argent européen travaille au lieu de dormir, il faut mettre en place l’Union des marchés de capitaux sans délai et il doit y avoir des progrès dès 2024». Il a évalué à quelque 35.000 milliards d’euros l’épargne des Européens, dont «plus de 10.000 milliards dorment sur des comptes bancaires», soit un tiers du total, contre moins de 15% aux Etats-Unis.
«Nous avons une bataille décisive devant nous, c’est la croissance», a-t-il encore affirmé, évoquant le décrochage de l’UE par rapport aux Etats-Unis. «Personne ne peut accepter que la croissance européenne soit un point en dessous de la croissance américaine». Le PIB de la zone euro était équivalent à celui des Etats-Unis en 2008, mais 15 ans plus tard, il est 20% inférieur.