« J’ai commencé à streamer en anglais en mai 2023», se souvient le vidéaste français Aymeric Pierre. Sur la plateforme de vidéos en direct Twitch, c’est sous le pseudonyme d’Aypierre qu’il propose du contenu sur le jeu vidéo Minecraft dont il a été, dans différentes compétitions, champion d’Europe et de France. Une passion qui l’a conduit, il y a quelques mois, à filmer peu à peu ses parties en anglais. Une nécessité pour pouvoir participer au serveur multilingue QSMP intégré à Minecraft.

Ce serveur lancé cet été par le streamer mexicain Quackity a permis de créer une partie géante, à travers le globe, entre vidéastes de Twitch. Rapidement, ce projet a suscité l’engouement chez des streamers français comme Aypierre, Étoiles, Baghera ou encore Antoine Daniel. «Je joue et je «live» avec d’autres streamers internationaux, hispaniques, brésiliens et anglophones», détaille Aymeric Pierre.

Et les publics se mélangent. «De 100% d’utilisateurs français qui me regardent, je suis passé à 75%», décrit le vidéaste. «En termes de discussions sur mon tchat (le fil de discussion accessible sur sa chaîne), c’est rigolo. J’autorise les gens à parler la langue qu’ils veulent», témoigne-t-il. «Il y a aussi une part non négligeable de spectateurs qui viennent discuter sur le tchat pour apprendre ou perfectionner leur français.»

Cette initiative a remis un coup de projecteur sur les streamers français. Ces derniers sont déjà reconnus à l’international pour leur savoir-faire dans l’organisation d’événements à succès,à l’instar de Zevent, un projet caritatif réunissant des stars françaises de Twitch afin de récolter des dons pour des associations. Plus récemment, c’est la course de Formule 4 GP Explorer, organisée par le youtubeur Squeezie et retransmise sur Twitch, qui a battu un record d’audience mondial.

«Cette ouverture de la communauté française de Twitch à l’étranger a réellement débuté lors de la Pixel War», indique Mickaël Kock, directeur général chez ZQSD Productions à l’origine, entre autres, du Zevent. Les internautes s’étaient affrontés en avril 2022 pour imposer des dessins symbolisant leurs pays respectifs sur une sorte de toile numérique hébergée sur le réseau social Reddit.

«Cet événement a mis en valeur l’implication et l’engagement des communautés françaises», complète Mickaël Kock. «Cela a, par la suite, conduit à un événement très médiatisé : le match de foot Eleven All Star, qui a entre autres accueilli 20.000 spectateurs au stade Jean Bouin à Paris et rayonné mondialement sur Twitch.»

Les streamers francophones veulent maintenant fidéliser cette audience internationale. «D’un coup, on peut toucher une audience 10 à 20 fois plus grande», estime Aypierre. «En voyant que de plus en plus de personnes non francophones me regardaient sur des streams qui n’étaient pas en lien avec le projet QSMP, j’ai demandé à des membres de ma communauté de développer une extension Twitch», poursuit-il. «Celle-ci traduit et sous-titre en temps réel ce que je dis en une vingtaine de langues différentes».

Une extension similaire à celle utilisée par le streamer Étoiles pour sous-titrer en direct son émission phare, «Les Nuits du musée», où il visite en compagnie d’un influenceur des lieux culturels comme le Louvre ou le Centre Pompidou. «La communauté internationale a réagi très positivement à cette nouveauté. Proposer un sous-titrage permet de répondre aux attentes du plus grand nombre et d’amener les concepts existants sur de nouveaux marchés», confirme ZQSD Productions, qui travaille avec Étoiles sur ce format.

Etoiles, 27 ans, est aussi actif sur le serveur international QSMP intégré à Minecraft. Enfin, il se rend régulièrement aux États-Unis pour commenter, en anglais, des tournois de son jeu favori : le jeu vidéo de combat Super Smash Bros, édité par Nintendo. Ces vidéos lui ont valu d’être primé aux «Streamers Awards», une cérémonie qui récompense depuis trois ans des créateurs de contenus via un vote du jury (à 30%) et, surtout, un vote du public (à 70%). Étoiles a ainsi obtenu le prixdu «meilleur streameur sur les jeux de combats» le week-end dernier, à Las Vegas.

Comme le prouve la victoire d’Étoiles, les fans des créateurs de contenus sont devenus essentiels à l’expansion de leurs audiences hors de France. Ainsi, des fans de la streameuse Baghera sont à l’initiative d’un compte X (ex-Twitter) en anglais sur son actualité.

Intitulé «Baghera Updates», celui-ci a vu le jour le 7 juin dernier, quelques semaines après que la vidéaste a rejoint le serveur QSMP sur Minecraft. «L’objectif de ce compte est de permettre à l’audience internationale d’accéder au contenu de Baghera en le traduisant et en brisant ainsi la barrière de la langue», explique l’équipe derrière ce compte.

Il s’agit d’une dizaine de jeunes actifs et d’étudiants qui se relaient pour publier du contenu aux horaires où les internautes anglophones sont en ligne. «Nos tweets sont vus comme une retranscription littérale de son actu, et donc on ne doit pas porter atteinte à Baghera et son image», explique l’équipe.

Baghera Updates est actuellement suivi par près de 20.000 personnes et un autre compte a vu le jour en portugais. «On constate qu’il y a un soutien pour Baghera, de la part de ces personnes anglophones, qui se poursuit lors de lives où elle discute parfois uniquement en français», se réjouissent ses fans.

Pour l’heure, ces projets en dehors des frontières donnent naissance à des amitiés entre streamers. Baghera par exemple, s’est déjà rendue au Brésil et en Suisse avec d’autres vidéastes étrangers comme l’américain Slimecicle, le brésilien Cellbit, les anglais Philza ou encore Tubbo, rencontrés sur le serveur QSMP intégré au jeu Minecraft.

«2023 a été l’année du virage, après l’amorce de 2022. Les streamers, français et internationaux, sortent de leur bulle nationale», note Mickaël Kock. La ZQSD Productions, basée à Montpellier, travaille désormais aussi bien avec des streamers francophones qu’américains ou issus de pays asiatiques. «Cela ouvre de nouvelles possibilités en termes de créativité, de collaboration et permet aussi de donner un souffle d’air frais au paysage du streaming français», conclut le directeur général de la société.