C’est un dossier qui divise les politiques, mais aussi les professionnels de l’agriculture. L’instauration de «prix planchers européens» dans les filières est-elle vraiment une bonne idée ? Pour Emmanuel Macron, présent au Salon de l’agriculture samedi, ces prix «permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd’hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus».
Peu de temps après cette annonce, La France insoumise s’est empressée de tirer le chapeau vers son parti, qui avait déjà déposé une proposition similaire à l’Assemblée nationale. François Ruffin, député de la Somme, précise ainsi sur X (ex-Twitter) que «depuis six ans, nous le réclamons à l’Assemblée nationale. Bien seuls, d’abord, puis gagnant les esprits, les Macronistes et la droite qui résistaient. C’est le grand choix aujourd’hui, pour tout et partout, médicament, logement, électricité, laisser faire le marché ou le réguler, l’encadrer, l’entraver ?» Pour Jean-Luc Mélenchon, «la lutte paie. Elle continue. Il faut bloquer les marges de profit de l’agroalimentaire».
Mais pour le ministre de l’Agriculture, invité ce dimanche matin sur CNews, la proposition du gouvernement diffère de celle de LFI : «La proposition de LFI c’était : prix plancher, fixation des marges, encadrement des prix par le gouvernement, pas tout à fait ce qu’on a dit hier». «LFI proposait, si j’ai bonne mémoire, le fait qu’au début d’année, le gouvernement décide d’un prix fixe, par exemple le prix du lait c’est 1,20 euro du litre (pour les consommateurs), ça, c’est un truc de système soviétique». Olivia Grégoire, la ministre de la Consommation dénonçait aussi l’an dernier des mesures rappelant «Cuba ou l’Union soviétique avec les succès que nous leur connaissons». «Vous faites ça en 2022, au début de l’année vous n’avez pas la guerre en Ukraine, vous dites que le prix c’est 1,20 euro puis on ne tient pas compte des questions inflationnistes», pointe Marc Fesneau.
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Le gouvernement souhaite ainsi «travailler sur quelque chose dans nos frontières […] et faire monter ça au niveau européen». Ce prix plancher «doit être basé sur les coûts de production» des producteurs, selon le ministre de l’Agriculture. «Ce n’est pas parce que le combat est difficile qu’il ne faut pas le mener», complète Marc Fesneau, d’un ton assuré. Mais pour les autres partis, en particulier la droite, ce combat est à oublier, si l’on en croit le président des Républicains, Bruno Retailleau : «C’est une très mauvaise idée promue notamment par LFI [qui comporte] deux pièges : il s’agira d’un revenu minimum universel agricole, idée socialiste, et le prix plancher deviendra un prix de marché dans Egalim (la loi qui régit les revenus des producteurs, NDLR). Dans la diversité des régions et des exploitations, les écarts vont s’agrandir. On marche sur la tête !»
Un constat que partagent d’autres spécialistes, comme Christian Gollier, directeur de Toulouse School of Economics : «Le prix plancher c’est avant tout une aubaine pour les gros exploitants agricoles, surtout s’il est estimé au coût moyen des petites exploitations. Politique productiviste inefficace par excellence. Comment la gauche peut soutenir ça ?» Pour Philippe Goetzmann, expert de la grande distribution, «un prix plancher garantit un prix, un bout de papier. Ça n’a jamais garanti un volume, ce qui fait le chiffre d’affaires : “Prix fois volume”. Un prix plancher quand on n’est pas compétitif c’est la garantie de la chute des volumes donc au choix [on va parvenir] à la fin de l’agriculture ou la fermeture des frontières».
D’autres s’interrogent sur le calcul de ce prix plancher. «Le risque c’est qu’il y ait autant de prix planchers que de type d’élevage. On le voit avec les filières de la viande bovine. Dans le cadre de la loi Egalim, la contractualisation avec les entreprises est difficile car les filières ne se sont pas mises d’accord sur les critères des coûts de production», relève au Parisien Anne-Catherine Loisier, sénatrice centriste de Côte d’Or. Pour Sébastien Poutreau, céréalier et administrateur de la FNSEA, «ça part d’une bonne intention mais cela va vite devenir de la poudre aux yeux. Comment fixer ce prix plancher ? Entre un producteur de lait qui a son élevage en montagne et l’autre en plaine, les coûts ne sont pas les mêmes. On choisit lequel ?» La question est simple à trancher pour Anne-Catherine Loisier : «Si les prix administrés sont trop élevés par rapport à ceux internationaux, on n’exportera plus. Et les importations vont augmenter».