Envoyé spécial à Brest

L’exploit aura sa place dans l’histoire de la course au large. Charles Caudrelier restera à jamais le premier marin à avoir fait le tour du globe à la barre d’un Ultim, ces trimarans géants et volants. Un pionnier comme Titouan Lamazou l’a été en remportant l’édition inaugurale du Vendée Globe en 1989. Personne ne savait avant le départ de la course si ces machines étaient capables de venir à bout d’un tour du monde sans casser. Le vainqueur a apporté une réponse même s’il a été contraint, lui aussi à faire une escale technique aux Açores. À ce jour, seuls Ellen McArthur, François Gabart, Thomas Coville et Francis Joyon avaient tenté et réussi ce pari sans escale, mais sur des trimarans d’ancienne génération et dans le cadre du record entre les mains de Gabart sur Macif (2017 en 42 jours, 16 heures, 40 minutes et 30 secondes). Caudrelier a mis quasiment dix jours de plus sur un bateau bien plus rapide en théorie. Un chrono décevant diront les esprits chagrins mais il n’a pas décidé du jour de son départ et ne visait pas le record. Seule la victoire lui importait.

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Quelle descente de l’Atlantique ! Et quel bras de fer entre Charles Caudrelier et Tom Laperche (SVR-Lazartigue) séparés par moins de six milles (moins de quinze minutes à 30 nœuds) après dix jours de course avant que le trimaran du benjamin de l’épreuve ne soit victime d’une avarie l’obligeant à rejoindre Le Cap (Afrique du Sud) et abandonner par la suite.

Lorsque Charles Caudrelier a franchi la ligne mardi à Brest, quatre autres bateaux restaient en course, dans l’ordre du classement, ceux de Thomas Coville (Sodebo) attendu jeudi à l’arrivée, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), Anthony Marchand (Actual Ultim) et Éric Péron (Adagio). Seul Tom Laperche a été contrait à l’abandon. Un cinq sur six et une belle performance car les organisateurs redoutaient secrètement le scenario catastrophe avec un ou deux bateaux seulement à l’arrivée. La mission est donc accomplie malgré les casses ayant entraîné, pour tous les marins, au moins une escale technique.

Des flops

La descente de l’Atlantique nous a tenus en haleine mais une fois Tom Laperche hors course, Charles Caudrelier a écrasé la concurrence et créé des écarts abyssaux (plus de 3500 milles au Point Némo entre l’Australie et le Cap Horn). À moins d’une casse et à la régulière, plus rien ne pouvait empêcher le majestueux Edmond de Rothschild de s’imposer. Pas même son arrêt prolongé de trois jours aux Açores pour laisser passer la tempête Louis. À l’arrivée à Brest, le vainqueur disposait encore de plus de 5.000 milles d’avance sur le dernier du classement, Éric Péron !

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Réunir six géants des mers pour une première édition est déjà un petit exploit en soi mais il faudra, à l’avenir, que le plateau s’étoffe pour offrir davantage de suspense et de possibilités de retournement de situation. Le Vendée Globe, tour du monde de référence en solitaire, mais en monocoque, s’appuiera sur une quarantaine de skippers au départ de la prochaine édition le 10 novembre. Un nombre qui permet des rebondissements, des péripéties et des aventures à suivre au quotidien. Mais le défi semble ardu, voire impossible à relever pour la prochaine édition de l’Arkéa Ultim Challenge. À ce jour, seul un bateau est en construction, le successeur d’Edmond de Rothschild… La classe Ultim et ses trimarans très coûteux (15 millions d’euros pour la construction uniquement) est-elle condamné à se battre en comité très restreint ? Possible.

Les organisateurs avaient aménagé un règlement souple et sécurisant pour permettre aux navigateurs victimes d’avaries de s’arrêter, puis repartir. Autoriser les escales techniques avec assistance (interdite sur le Vendée Globe) est une décision sage qu’il fallait prendre pour éloigner la menace d’un fiasco. Fallait-il pour autant permettre à ces marins-aventuriers qui s’arrêtaient à terre de mettre le pied au sol et d’être logés hors de leur bateau (dans la mesure où la cellule de vie ne prenait pas l’eau) ? Pas sûr. Enfin, faudra-t-il autoriser le routage à l’avenir alors en sachant que sur le Vendée Globe, il est rigoureusement interdit ? Si elle veut s’inscrire dans la durée, cette magnifique épreuve doit rester celle de tous les superlatifs, une aventure ultime.