Le «Made in France» fait vendre, ce n’est plus un secret. Il n’y a qu’à voir le nombre de références présentes dans les linéaires des supermarchés et qui arborent un drapeau tricolore pour comprendre qu’il est même devenu un argument de vente. Portés par la volonté des consommateurs d’acheter plus local et plus éthique, certains industriels n’hésitent donc plus à détourner les codes et entretenir une confusion pour faire vendre leurs denrées, souvent produites hors des frontières de l’Hexagone. C’est ce qu’on appelle le «French washing», ou franco-lavage.
Gage de qualité pour certains (47%), soutien aux producteurs français pour d’autres (63%), plusieurs facteurs tendent à expliquer l’essor de cette pratique selon une enquête réalisée par OpinionWay en octobre 2023. Du côté des clients, les produits marketés comme français ont leurs adeptes. Un sentiment qui se ressent dans les allées d’un supermarché du 14è arrondissement de Paris. «Quand on a le choix entre deux produits, et que l’un des deux affiche une origine française, je trouve ça plus rassurant d’opter pour l’article avec une origine claire», confie Sylvie, quinquagénaire. Même sentiment pour Hervé, consommateur attentif aux étiquettes. «Par moments, ce n’est pas clair. Il y a des produits où le logo ne semble pas officiel», commente-t-il intrigué par certains packagings. «Difficile de savoir si c’est du marketing ou une véritable certification. Je trouve ça trompeur». Et il y a de quoi s’interroger.
Plusieurs éléments courants permettent d’identifier les produits qui pratiquent le «French washing» dans les rayons. Bien souvent, la présence d’un drapeau français ou l’emploi des couleurs tricolores est un signe annonciateur. Mais les industriels ont également recours à des clichés comme un coq, une image vintage, une carte de France pour entretenir la confusion. Des expressions telles que «Fabriqué en France», «Élaboré en France» ou «Conditionné en France» permettent également d’entretenir l’ambiguïté pour le consommateur. En réalité, une seule partie de la production est réalisée dans l’Hexagone. Derrière ces jolis emballages, bien souvent, si le produit est conditionné et emballé en France, les ingrédients sont d’origine étrangère.
Camille Dorioz, directeur des campagnes de Foodwatch, fait le constat que cette pratique n’est pas nouvelle et fluctue au cours du temps. «Ce n’est malheureusement pas un phénomène nouveau dans les rayons. On a commencé à travailler dessus en 2018, c’est devenu un classique» confesse-t-il. Il ajoute «C’est très déceptif pour le client qui veut acheter français et faire un acte fort en optant pour un produit national, qui ne l’est pas».
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Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution, affirme lui aussi mener un combat pour plus de transparence à ce sujet avec l’initiative
Pour l’association de consommateur Foodwatch, cette pratique commerciale a de quoi heurter. «Les entreprises qui sont à la limite sur le sujet sont françaises pour la plupart. Elles achètent des produits à l’étranger et mettent en avant l’origine française de leur siège. L’exemple le plus parlant est Bjorg bien qu’elle ait amélioré ses pratiques». Camille Dorioz conseille : «s’il y a un doute avec l’emballage, c’est que ce n’est pas français. Il faut reposer le produit pour un autre et redoubler de vigilance. L’objectif c’est que le consommateur ait toutes les données pour faire son choix en conscience».
Au sein du cabinet d’Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation, le problème est pris très au sérieux. «Il y a de quoi s’interroger sur le caractère trompeur des drapeaux français apposés sur les produits transformés. Mais aujourd’hui, au vu de la réglementation, les industriels ont le droit de mettre ce drapeau même si aucun des ingrédients n’a été produit en France. C’est légal», nous affirme-t-on. Pourtant, apposer du bleu-blanc-rouge était censé être interdit depuis la loi Egalim 2 adoptée en octobre 2021. Cette règlementation devait faire encourir aux professionnels 300.000 euros d’amendes et deux ans de prison. Sauf que… «l’usage du drapeau français est permis dans le cadre du droit européen». Ce qui fait que l’article 12 de cette loi n’est pas appliqué car il n’est pas conforme au droit des 27. Le décret n’a ainsi jamais été publié par l’Élysée.
Pour autant, toujours selon cette source proche de la ministre, les industriels risquent «le name and shame». De nombreux internautes n’hésitent en effet pas à dénoncer les pratiques ces dernières semaines, soucieux de savoir ce qu’ils achètent vraiment en magasin. Mais pas sûr que cela suffise.
Camille Dorioz regrette l’abandon du gouvernement sur le sujet : «Foodwatch a beaucoup œuvré pour montrer les arnaques sur les étiquettes. On a réclamé une loi plus stricte qu’on a eue avec Egalim 2. C’était une avancée sur le moment». Après le passage de la loi «beaucoup de symboles Français avaient disparu des linéaires. Or, avec la crise agricole, j’ai l’impression que les abus réapparaissent». Olivia Grégoire tente en ce moment de relancer le débat sur le sujet. Elle réunira les acteurs de l’agro-alimentaire à la mi-mars pour créer un nouvel indicateur : l’Origine Score. Une démarche similaire au Nutri-score, basée sur le volontariat. La ministre déléguée à la consommation espère par ailleurs le rendre «obligatoire et européen» selon ses conseillers.
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En attendant, difficile pour le consommateur de faire ses courses en toute tranquillité. Il existe néanmoins plusieurs certifications et labels officiels permettant d’y voir plus clair. Le label Origine France Garantie, présenté en 2011, est le plus connu. Il est décerné par l’association ProFrance. Pour l’obtenir, les entreprises doivent justifier que «le lieu où le produit prend ses caractéristiques essentielles est situé en France» et que «50% au moins du prix de revient unitaire est acquis en France», indique Bercy.
Plus connues du grand public, d’autres appellations constituent un gage de confiance sur l’origine et la fabrication des produits et sont reconnues par l’Etat. L’indication géographique protégée (IGP) «identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique». L’Appellation d’origine protégée (AOP) «désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit», selon le site du gouvernement.
En quête d’une communication plus loyale, les grandes enseignes ont également lancé ces derniers mois des MDD solidaires qui permettent non seulement d’obtenir la traçabilité du produit mais aussi de rémunérer le producteur au juste prix. Auchan a par exemple introduit dans ses étals plus d’une trentaine de produits Auchan Solidaires (crème, beurre, lait, charcuterie). Sur le site du distributeur, on peut lire qu’il s’agit de «la garantie de qualité, une origine France, le bien-être animal et le respect de l’environnement». Leclerc, de son côté, promet de soutenir le monde agricole français avec sa marque Soutenons nos agriculteurs qui compte plus d’une vingtaine de références «100% fabriquées en France». Intermarché exploite le filon avec sa gamme Merci ! décrite comme «le porte-drapeau des filières agricoles françaises». Une «démarche positive» salue Olivier Dauvers. Certainement une goutte d’eau dans l’océan en attendant que le «French washing» ne disparaisse véritablement des rayons…