Depuis le 29 février, les gangs haïtiens mènent une offensive sans précédent contre les autorités du pays. Des dizaines de bâtiments publics ont subi l’assaut des criminels à Port-au-Prince : poste de police, bâtiments administratifs, aéroport, hôpitaux et prisons. Les commissariats de Portal Leogane, de Delmas 3 et de Bon repos ont été attaqués et incendiés samedi.

La multiplication des cibles est une stratégie des gangs pour disperser les forces de l’ordre et rendre plus vulnérables les cibles principales que sont les prisons. Dans la nuit de samedi à dimanche, les deux plus grands centres carcéraux du pays, le pénitencier national de Port-au-Prince et la prison civile de la Croix des Bouquets, ont ainsi subi l’assaut de dizaines de malfrats. Les forces de l’ordre n’ont pas pu résister et ont dû se retirer. Visitant le pénitencier national, un groupe de journalistes a eu la surprise dimanche d’en trouver les portes ouvertes. Sur les 3800 détenus censés y être enfermés, ne restait plus qu’une petite centaine de personnes. Parmi eux, les seize Colombiens accusés d’avoir participé à l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, l’ancien président de la chambre des députés Cholzer Chancy, l’ancien ministre Limont Toussaint, et l’avocat Robinson Pierre Louis. Tous les autres détenus, membres ou non des gangs, avaient pris la poudre d’escampette à la faveur du départ de leurs gardiens et des forces de l’ordre.

Dimanche, le gouvernement a décrété l’état d’urgence et un couvre-feu pour trois jours, afin de tenter de reprendre le contrôle de Port-au-Prince, aux mains des gangs depuis de nombreux mois. On peut mesurer le désarroi des autorités à la lecture du communiqué publié dimanche : «Le gouvernement de la République salue le courage des policiers haïtiens qui ont tenté de repousser l’assaut des bandes armées contre le pénitencier national et la prison de Croix des Bouquets dans la nuit du 2 au 3 mars. Nos policiers, sur le théâtre de plusieurs opérations face aux déchaînements de criminels lourdement armés voulant à tout prix libérer des personnes gardées, notamment pour des faits de kidnapping, de meurtres et d’autres infractions graves et n’hésitant pas à exécuter des civils, incendier et piller des biens publics et privés, à la faveur de connivences diverses, ne sont pas parvenus à empêcher les bandits de faire sortir un grand nombre de prisonniers».

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Dimanche les gangs ont poursuivi leurs assauts. Ils ont notamment attaqué l’académie nationale de police. Jimmy Cherizier, alias Barbecue, chef de l’un des gangs haïtiens les plus puissants, a revendiqué la participation de ses troupes à l’ensemble de ses attaques. Il a dit avoir tenté de capturer le chef de la police haïtienne. Son objectif est clair et annoncé depuis le 29 février : renverser le premier ministre et président par intérim, Ariel Henry.

Ces troubles se déroulent alors que ce dernier est en voyage au Kenya. Le pays africain a proposé d’envoyer une force de maintien de l’ordre en Haïti sous l’égide des nations Unies. Ariel Henri se maintient au pouvoir sans aucune légitimité démocratique mais avec l’appui notamment des États-Unis, du Canada et de la France. Il n’y a pas eu d’élection en Haïti depuis de nombreuses années. Il n’y a plus de parlement, plus de maires élus, plus aucune représentation démocratique. Selon Pierre Espérance, directeur exécutif de l’ONG RNDDH (réseau national de défense des droits de l’homme) «la situation n’a jamais été aussi terrifiante. Et cela risque de durer. Hier, dimanche, il n’y avait pas plus de présence policière dans les rues. Le ministère de la Communication a été pillé à son tour.»