« C’est un moment crucial pour notre nation. Et les couleurs de l’Amérique s’illuminent, lorsque nous sommes capables de relever les défis. » Comme chaque année, le président des États-Unis prononce son discours sur l’état de l’Union à Washington. Rassemblés en Congrès sous les voûtes du Capitole, représentants et sénateurs sont venus entendre le chef de l’État tracer les grandes lignes de sa politique pour les prochains mois.
Soudain, une déflagration. La coupole blanche, si familière aux habitants de la capitale américaine, n’est plus qu’un champignon de fumée, de flammes et de débris. Le Congrès a été désintégré dans un vacarme assourdissant, par l’attentat terroriste le plus dramatique de toute l’Histoire des États-Unis. Le président, le vice-président et son gouvernement n’ont pas survécu. Tous ont été ensevelis avec l’ensemble des parlementaires et des principaux représentants du pouvoir américain.
Fort heureusement, jamais un tel scénario catastrophe ne s’est produit. Mais il constitue la scène d’ouverture d’une série Netflix, baptisée « Designated survivor » (2016). L’intrigue peut sembler farfelue, voire risible. Elle est pourtant envisagée le plus sérieusement du monde au plus haut niveau de l’État à Washington. À défaut de s’appuyer sur de faits réels, cette série s’inspire en effet d’une vieille tradition américaine, qui veut qu’un président des États-Unis choisisse un « survivant désigné », ou « successeur désigné » (en anglais, « designated survivor ») avant chaque discours sur l’état de l’Union.
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Ce « successeur désigné » n’assiste pas au discours, mais est conduit à l’écart du Congrès, dans un lieu inconnu, sous la protection du « Secret Service ». L’objectif est simple : empêcher la vacance du pouvoir au cas où un attentat viendrait à éliminer tous les hauts dignitaires américains. La série Netflix imagine qu’un obscur secrétaire d’État, limogé le matin même par le président des États-Unis, se retrouve investi à la Maison-Blanche pour affronter une crise encore plus grave que le 11-Septembre.
Joe Biden prononce ce jeudi 7 mars 2024 son discours sur l’état de l’Union. Prévu à l’article II de la Constitution américaine, l’exercice avait été abandonné par Thomas Jefferson en 1801, puis réintroduit par Woodrow Wilson en 1913. Il permet au chef de l’État de présenter les orientations de son action pour l’année à venir. « Le gouvernement et le Parlement sont rassemblés dans un même lieu au grand complet, explique François Vergniolle de Chantal*, professeur à l’université Paris-Cité et spécialiste des États-Unis. D’où la précaution traditionnelle du “Designated Survivor”. »
« Cette convention date des années 1950, abonde la politologue franco-américaine Nicole Bacharan**. Nous sommes en pleine guerre froide et l’hypothèse d’une attaque nucléaire qui anéantirait tous les responsables américains d’un seul coup hante Washington. »
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Dans la Constitution américaine, la durée du mandat présidentiel – quatre ans – est gravée dans le marbre. Convoquer des élections en urgence étant inenvisageable, un successeur doit pouvoir être désigné dans tous les cas de figure, y compris les plus improbables, pour achever le mandat présidentiel. «La Constitution fixe un ordre de succession : d’abord le vice-président, le speaker, le résident pro tempore du Sénat, puis le secrétaire d’État, etc. », détaille François Vergniolle de Chantal.
Le nom du « successeur désigné » sera communiqué dans la journée. L’année dernière, le choix de Joe Biden s’était porté sur son secrétaire d’État au Travail, Marty Walsh, qui avait donc suivi sa prise de parole à la télévision depuis un bunker secret. « La plupart du temps, le président désigne une personnalité de second rang, explique Nicole Bacharan. Les ministres les plus importants ne sont jamais choisis. Ceux qui sont en charge des dossiers dont le président va parler tiennent particulièrement à être présents : les caméras les filment au moment opportun pendant le discours. »
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Depuis 2005, des «designated survivor» sont aussi nommés parmi les représentants et les sénateurs. De quoi composer dans l’urgence une nouvelle législature. Il est prévu qu’un représentant et un sénateur puissent par ailleurs être nommés speaker ou président du Sénat dans l’hypothèse où les présidents de chambre seraient tués. Deux fonctions placées au 3e et 4e rang de la ligne de succession présidentielle.
En un mot, cette convention du « successeur désigné » relève plus du folklore démocratique. « La démarche est totalement démodée et, disons-le, anachronique, conclut François Vergniolle de Chantal. Elle relève davantage de la tradition, du symbole : l’hypothèse d’une attaque nucléaire sur le Congrès semble aujourd’hui particulièrement dépassée. » « Ce décorum qui encadre les institutions n’est jamais anachronique, tempère Nicole Bacharan. Les traditions et les rites républicains donnent au régime des éléments de continuité, participant in fine de sa stabilité. »
*François Vergniolle de Chantal est l’auteur de L’impossible présidence impériale (CNRS éditions – 2016).
**Nicole Bacharan a publié Les grands jours qui ont changé l’Amérique avec Dominique Simonnet (Perrin, 2021).