Jérôme Zieseniss, président du Comité français pour la sauvegarde de Venise, est décédé à 75 ans d’un AVC, à Madrid, le 19 février. Mais c’est à Venise, sa ville d’adoption depuis 24 ans, qu’il sera inhumé, après une cérémonie religieuse célébrée en l’église des Gesuati, dans le Zattere, samedi 9 mars. Venise, ce paradis à échelle humaine, était «l’amour de ma vie» disait volontiers cet homme affable, à l’œil pétillant.
Après une carrière dans le marketing, Jérôme Zieseniss prend racine dans la cité lacustre, à 50 ans, moment où il prend la tête du Comité français pour la sauvegarde de Venise. Il vivait jusqu’à récemment dans un palais vénitien de toute beauté, dans le Dorso Duro, entouré de ses chiens. Ceux qui avaient eu l’honneur d’y être reçus découvraient le mobilier du grand décorateur Marc Du Plantier. Jérôme Zieseniss était un esthète, un personnage dont l’élégance, la mise et les manières étaient d’un autre temps.
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Invariablement, la conversation autour de la table versait sur le Palais royal de la place Saint-Marc. La restauration de ce long bâtiment napoléonien, formant une des ailes de la place, fut la grande œuvre de Jérôme Zieseniss. Que de combats n’a-t-il pas mené, pendant 24 ans, pour redonner du lustre à l’enfilade de pièces du palais et parvenir à les faire ouvrir au public! Il n’hésitait jamais à entraîner ses hôtes pour une visite des salons, dans lesquels régnait une atmosphère de temps suspendu. «Il avait le don d’enrichir le récit de chacune des visites par de nouveaux détails, tirés de la grande comme de la petite histoire», témoigne François Pignol, responsable des jeunes donateurs du Comité français pour la sauvegarde de Venise, qui l’a accompagné pendant des années.
Sous les hauts plafonds du palais, Jérôme Zieseniss racontait volontiers l’affaire du collier de la reine Marguerite de Savoie, qui grossissait en perle à chaque maîtresse de son mari Umberto Ier, montrait les salons où l’impératrice Sissi se retirait de la foule, présentait les soieries qu’il voulait changer malgré les réticences de l’administration vénitienne. Dans son livre de souvenirs Le Palais Royal de Venise, le joyau caché de la place Saint-Marc, publié chez Flammarion, il avait raconté avec gourmandises ses passes d’armes avec l’administration italienne, qui lui mit des bâtons dans les roues pendant des années, avant de reconnaître son rôle déterminant pour le patrimoine de la Sérénissime.
Son premier coup d’éclat date des années 2000. Fervent amateur de Napoléon – il possédait une belle d’ouvrages sur l’Empire-, le président du comité va commencer par faire revenir une immense statue de l’empereur, repérée dans une vente aux enchères, acquise par le comité. Placée devant le Palais royal, elle signe le début d’un activisme qui ne s’arrêtera plus. Il ne se lassait pas de raconter les murs d’opposition qui se sont dressés contre lui. À commencer par ceux qui occupaient au départ le Palais royal et ne voyaient pas d’un bon œil l’idée de céder les espaces à ces Français amoureux du patrimoine.
«Les Italiens ont souvent l’impression que les Français sont là pour leur donner des leçons», témoignait Jérôme Zieseniss en 2022. Sa grande force fut qu’il se débrouilla toujours pour trouver les fonds de son ambition. «Je n’ai jamais demandé d’argent à quelqu’un, j’ai toujours essayé d’intéresser, puis laissé les choses se faire», indiquait-il, fier d’avoir su convaincre les donateurs, un à un.
Tour à tour, le grand escalier, le vestibule, le plafond de la salle du trône et de la grande salle de bal, celle dans laquelle Sissi recevait en 1856 et qui avait brûlé en 1964, retrouvent leur lustre. Les bureaux sont, quant à eux, «libérés» un à un. Il y eut des pas en avant, des retours en arrière, mais aussi des victoires. L’ouverture en 2012 de l’appartement de l’Impératrice « Sissi », et l’inauguration en 2021 de l’appartement de l’Empereur, de l’appartement du vice-roi Maximilien et de l’appartement du roi Victor-Emmanuel II, en furent. Avec à chaque fois des réceptions éclatantes. À force c’est toute l’histoire de Venise et des arts décoratifs vénitiens au XIXe siècle qui a pu renaître.
Le succès menant au succès, des entrepreneurs, des couples amateurs de belles choses, des fondations ou des connaisseurs de la cité ont fini par se prendre au jeu, acceptant de verser entre 100.000 et 250.000 euros pour restaurer une pièce du palais. Au final, 7 millions d’euros ont été investis dans les décors du palais et dans le jardin attenant. Les visiteurs peuvent désormais déambuler dans cette enfilade de salons, sous l’œil bienveillant de l’administration culturelle de la ville. En 2024, Jérôme Zieseniss s’apprêtait à lancer la réhabilitation des salles du Musée Correr et avait reçu, pour cela, le soutien de plusieurs mécènes.
Féru d’opéra, Jérôme Ziseniess se vit par ailleurs confier la présidence du Circolo La Fenice, cercle des mécènes de l’opéra de Venise, en 2011. Puis, deux ans plus tard, celle de Fedora – le Cercle européen des philanthropes pour l’opéra et la danse. Pour toute cette passion au profit de Venise, il fut fait officier de la Légion d’honneur par la France et officier du Mérite de la République italienne. Après l’avoir combattu pendant des années, Rome avait fini par admirer ce Français tenace, amateurs des belles choses et de l’impératrice Sissi.