Moteur! On entre dans la vie de Michel Houellebecq. L’air éteint, la conversation lasse, revenu de tout, ne semblant plus surpris de rien, l’écrivain joue à être lui-même. Il n’a pas à se forcer. C’est un personnage sans tabou. On le retrouve sur un trottoir parisien, sa valise à roulettes à la main, guettant un taxi pour l’aéroport. Il part aux Antilles, présenter un livre, dit-il au chauffeur qui l’a reconnu. Luc, colosse lymphatique et barbu, le rejoint. Ami, garde du corps? Une limousine blanche les attend à l’arrivée. Elle ne les quittera plus.

Dans la peau de Blanche Houellebecq est un road movie. Les héros sont déglingués, la clim est en «vacances». Le chauffeur se moque de ses passagers en sueur. Ça leur apprendra à être des oppresseurs blancs. Un parfum d’anticolonialisme flotte dans l’air moite. Les indigènes font exprès de s’exprimer en créole. Houellebecq se pose en peignoir blanc – col en peau de panthère – au bord de la piscine de l’hôtel. Il manque de se noyer: «En fait, je ne sais pas nager.»«Vous avez un corps plutôt du secteur tertiaire», le rassure Blanche Gardin. L’humoriste s’incarne elle-même: deux rebelles dans les cordes. Elle est venue présider un jury de sosies de Michel Houellebecq. L’intrigue s’éclaire, si l’on peut dire.

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L’auteur de Plateforme écoute l’irascible comique lui faire la leçon après son interview polémique avec Michel Onfray. Il a dit du mal de l’islam. Tout ça l’ennuie. Elle lui conseille de se taire. Ils essaient un puissant hallucinogène. Les choses s’embrouillent. Luc règle des comptes ; ils sont sanglants. Blanche et Michel se retrouvent liés par des menottes. Un journaliste l’interroge. Il doit se prononcer sur la parité, l’esclavagisme, le colonialisme. Ça fait beaucoup: «On pourrait élargir à la femme noire», maugrée-t-il. Les regards se tournent vers lui. Il y a un grand blanc.

La situation est rocambolesque, les dialogues hallucinants. Dans les meilleurs moments, on navigue du côté d’Audiard. Il y a des baisses de régime, un côté foutraque, des seconds rôles à la peine. Si l’on reste au bord du chemin, on n’appréciera pas à sa juste valeur cette épopée punk. Sinon on rit aux éclats ; mais sans éclats. C’est interdit.

Dans la peau de Blanche Houellebecq est une fable contemporaine, hilarante, pleine d’autodérision, sur le devoir de silence. On ne peut plus rien dire. Les sosies défilent sur un podium. Luc s’est fait faire des tresses: ça sent l’appropriation culturelle. Blanche Gardin s’énerve: «Pourquoi tu nous appelles des petits blancs? On t’appelle pas le grand noir!» Elle n’en revient pas qu’on l’accuse de tous les maux alors qu’elle est de gauche. C’est l’interrogation subliminale de Guillaume Nicloux. Où va ce monde dans lequel la gauche morale a perdu son impunité? Michel Houellebecq semble avoir choisi la seule voie qui s’impose: ne plus parler. À la fin, tout le monde se retrouve pour une séance de plongée sous-marine. Houellebecq – qui a récupéré la parole – demande s’il peut garder ses chaussettes. Attention, film profond.