Dans l’exercice aseptisé de la rencontre presse, Olivia Colman et Jessie Buckley tranchent par leur spontanéité et leurs rires. En promotion à Paris pour leur comédie anglaise à l’ancienne, Scandaleusement vôtre, le duo joue aux sœurs jumelles. Blazer et pantalon noir, chevelure blonde peroxydée. La star quinquagénaire de The Crown et sa consœur irlandaise, vue dans Women Talking, de quinze ans sa cadette, accueillent le journaliste comme un camarade avec qui prendre le thé. La discussion s’ouvre d’ailleurs sur les prochains Jeux olympiques et le brio d’Anatomie d’une chute avant de revenir sur les rails lorsque leurs yeux se posent sur la boîte de biscuits apportée par Olivia Colman. Des sablés rouges en forme de cœur, sur lesquels est inscrit le mot cunt («salope»).
De quoi résumer Scandaleusement vôtre, qui retrace un fait divers ayant défrayé la chronique dans l’Angleterre des années 1920. Une petite ville du littoral, Littlehampton, est la cible d’un corbeau au langage fleuri et à la belle calligraphie. Ses lettres ordurières, et improbables dans leur hyperbole, visent Edith, une vieille fille s’occupant de son père, un conservateur qui voit l’œuvre du diable partout. Edith soupçonne Rose, sa voisine mère célibataire, d’en être l’auteur. Celle qui fait les fermetures de pub n’a pas hésité à tenir tête au père d’Edith. Bientôt la querelle picrocholine atterrit sur le bureau de la police. Avec des conséquences qui vont bien au-delà des harangues comiques entre Rose et Edith.
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Olivia Colman et Jessie Buckley avaient joué dans The Lost Daughter, adaptation Netflix par Maggie Gyllenhaal du roman d’Elena Ferrante. Mais, incarnant le même personnage de mère dépassée à différents âges, elles ne s’étaient jamais donné la réplique. À regret. Les comédiennes avaient noué une vraie camaraderie sur le tournage «buvant et chantant chaque soir». En lisant le scénario de Scandaleusement vôtre, Olivia Colman a immédiatement pensé à son amie pour la fougueuse Rose. Émue par cette héroïne, «perçue comme monstrueuse par ses pairs», qui «refuse pourtant de s’incliner malgré le rejet dont elle fait l’objet», Jessie Buckley a apprécié de revenir «à un registre plus léger et drôle». Et de saluer «un film qui tord le cou à une vision corsetée, polie à la Downton Abbey, que l’on pourrait se faire des femmes de l’époque».
Pour Olivia Colman, la tragédie de Scandaleusement vôtre est que Rose et Edith avaient tout pour devenir des alliées. «Sous la coupe réglée de ce pater familias dominateur, Edith n’est pas sans rappeler les femmes prises au piège de relations toxiques et de violences conjugales, privée d’autonomie et d’indépendance financière. Edith n’a aucun moyen d’obtenir de l’aide. En la regardant, je mesure ma chance d’avoir eu des parents qui m’ont encouragée à suivre la seule discipline où je n’étais pas une catastrophe à l’école: la comédie. À chaque réunion parents-profs, mes enseignants leur disaient: “Ah, si votre fille n’était pas un clown…”», confie la comédienne oscarisée pour La Favorite, de Yorgos Lanthimos. Et de déplorer «le regard plus sévère de la société sur les femmes»: «Quand j’étais jeune, ma mère me disait encore que cela ne se faisait pas de parler de sa vie sexuelle et d’avouer un appétit pour les plaisirs de la chair comme le fait Rose.» Les lettres anonymes de Littlehampton sont aussi une mise en garde à l’heure des réseaux sociaux. «Nous n’avons rien appris des plumes empoisonnées d’antan. C’est pire maintenant puisqu’on peut se réfugier derrière l’anonymat d’un pseudonyme», déplore l’actrice.
Faire son miel des noms d’oiseau qui parsèment les dialogues de la comédie de Thea Sharrock a en revanche été un plaisir. «Croyez-le ou non, mais 85 % de nos répliques sont tirées des lettres versées au dossier. Jessie et moi avons les gros mots faciles. Ils sortent tout seuls. Se les lancer était une délicieuse partie de ping-pong», s’amuse Olivia Colman, qui, dès qu’elle se cogne, a tendance à jurer pour se libérer du choc. «Je dis à mes enfants que c’est le meilleur moyen pour passer à autre chose», rit-elle. Olivia Colman et Jessie Buckley recherchent déjà une troisième collaboration. La saison des prix aidant, elles rêvaient, à Paris, de se retrouver devant la caméra de Yorgos Lanthimos ou de Justine Triet. Sinon, menacent-elles en plaisantant, elles se tricoteront leur propre scénario. Peut-être une histoire de pirates, concluent-elles dans un grand éclat de rire! Elles ont l’allure pour.
La Note du Figaro : 2,5/4