Le conflit opposant Israël au Hamas s’invite de plus en plus dans les discours de remerciements des lauréats de la scène culturelle. Applaudies avec ferveur, vilipendées ou suscitant nombre d’interrogations, ces déclarations ne sont pas sans provoquer des remous. Jonathan Glazer, vainqueur de l’Oscar du meilleur film étranger pour La Zone d’intérêt , chronique glaçante sur la vie insouciante d’une famille de Nazis installés dans leur villa jouxtant le camp d’Auschwitz, en a fait les frais.

Quand le réalisateur britannique de confession juive a reçu la prestigieuse récompense, dimanche 10 mars, il s’est livré, en quelques mots, au premier discours politique de la soirée. «Dans ce film, tous les choix ont été faits pour nous confronter au présent. Le film montre où nous mène la déshumanisation. Nous sommes ici en tant qu’hommes qui réfutent le fait que la judéité et l’Holocauste soient détournés par une occupation qui a conduit à des conflits pour tant d’innocents. Les victimes du 7 octobre, les victimes des raids de Gaza sont des victimes de déshumanisation», a-t-il alors déclaré, entre hommage à toutes les victimes du conflit et plaidoyer contre l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

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Des propos chaudement accueillis lors de la soirée mais qui n’ont pas manqué de faire vivement réagir David Schaecter, président de l’Holocaust Survivors’ Foundation USA (fondation américaine des survivants de l’Holocauste ) qui a d’emblée publié une lettre ouverte éruptive sur le site de la fondation. «J’ai regardé avec angoisse, dimanche soir, lorsque je vous ai entendu utiliser la tribune de la cérémonie des Oscars pour assimiler la brutalité maniaque du Hamas contre des Israéliens innocents à l’autodéfense difficile mais nécessaire d’Israël face à la barbarie continue du Hamas», écrit en préambule l’ancien déporté des camps d’Auschwitz et de Buchenwald.

Avant d’affirmer: «Vos commentaires étaient factuellement inexacts et moralement indéfendables. Pire encore, vous avez choisi d’utiliser l’Holocauste pour valider votre opinion personnelle. Il est honteux que vous prétendiez parler au nom des six millions de Juifs, dont un million et demi d’enfants, qui ont été assassinés uniquement en raison de leur identité juive. Vous devriez avoir honte d’utiliser Auschwitz pour critiquer Israël». Et de conclure: «Si la création, l’existence et la survie de l’État d’Israël en tant qu’État juif équivaut dans votre esprit à une “occupation”, alors vous n’avez évidemment rien appris de votre film».

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Sur les réseaux sociaux, l’association américaine Ligue Anti-Diffamation lui a emboîté le pas, nous apprend The Guardian. «Israël ne détourne pas le judaïsme ou l’Holocauste en se défendant contre des terroristes génocidaires. Les commentaires de Glazer aux

A contrario, le discours du cinéaste a reçu un large soutien de la part de l’organisation d’anciens combattants israéliens Breaking the Silence, souligne The Guardian.«Glazer n’a pas “nié sa judéité”, comme certains l’ont apparemment mal compris. Il a pris une position sans équivoque contre l’utilisation cynique du judaïsme et de l’Holocauste au nom de la justification de l’occupation. Ces « malentendus » ne sont pas nouveaux», a-t-elle estimé sur les réseaux. «Nous refusons d’accepter la facilité avec laquelle le sang et la vie des civils sont utilisés comme justification d’idéologies politiques ou comme monnaie d’échange. L’empathie n’est pas un jeu à somme nulle», enchérit-elle.

Le réalisateur oscarisé n’est pas le seul artiste à avoir effectué des déclarations antiguerres sur des scènes engrangeant une large audience. Parmi eux, le rappeur Ghali au festival de San Remo, en février dernier. Devant des millions de spectateurs, réunis pour la 74e édition du grand rendez-vous de la variété italienne, la star italo-tunisienne lançait les mots «Stop au génocide» après sa prestation sur scène, embrasant la toile jusqu’aux hautes sphères.

Quelques jours plus tard, le festival de cinéma de Berlin s’est également retrouvé au centre d’une polémique, accusé d’avoir servi de plateforme pour des déclarations antisémites de metteurs en scène lors de la remise des prix , le 24 février, en lien avec la guerre d’Israël contre le Hamas. La controverse a été alimentée notamment par des déclarations de cinéastes, lors de la cérémonie du palmarès, accusant Israël de génocide en raison des bombardements qui ont fait près de 30.000 morts à Gaza, en majorité des civils, selon le décompte du Hamas. Contrairement à Jonathan Glazer, ces metteurs en scène n’ont pas mentionné que l’offensive israélienne avait été déclenchée par une attaque sans précédent menée en Israël le 7 octobre dernier par le Hamas, entraînant la mort de plus de 1160 personnes, en majorité des civils. C’est le cas notamment du cinéaste américain Ben Russel, qui est monté sur la tribune en portant un foulard palestinien et en accusant Israël de génocide.

Toujours sur la scène du Berlinale Palast, aux côtés de son coréalisateur Basel Adra, l’Israélien Yuval Abraham – dont le documentaire porte sur la Cisjordanie occupée – a livré un discours applaudi par l’assemblée, avant de déclencher la polémique au sein de la classe politique allemande et la colère en Israël. Une partie de son discours a été reprise par la chaîne israélienne 11, qualifiant le réalisateur d’«antisémite». «Depuis, je reçois des menaces de mort. Je maintiens chaque mot», déclarait Yuval Abraham, dès le lendemain, sur X.