Le XV de France conclut son Tournoi des six nations 2024 samedi face à l’Angleterre (21h00), à Lyon. Une ville qui a vu naître Pascal Papé, 43 ans et 65 sélections avec les Bleus entre 2004 et 2015. L’ancien capitaine a fait son retour sur ses terres d’origine en 2021 pour occuper le poste de directeur sportif puis manager général dans son club formateur, le CS Bourgoin-Jallieu (3e division).
Avec son franc-parler habituel, il évoque pour Le Figaro ses meilleurs souvenirs lors des Crunchs et analyse les difficultés de l’équipe de France en ce début d’année 2024.
LE FIGARO. – Le XV de France a eu du mal à rentrer dans ce premier Tournoi des six nations post-Coupe du monde, qui s’achève samedi avec le Crunch. Comment l’analysez-vous ?Pascal PAPÉ. – Il y avait une telle ferveur autour de cette génération que perdre en quart (contre l’Afrique du Sud, ndlr) était un échec monstrueux. Ce match était peut-être la finale avant l’heure et jusque-là, la Coupe du monde était super sympa. Mais ça reste un échec. C’était le pire qui pouvait nous arriver : perdre dès le premier match à élimination directe. Pendant quatre ans, on a été formaté à gagner, on a gagné un Tournoi (le Grand Chelem en 2022, ndlr), on a des joueurs exceptionnels. Quand tu as un échec retentissant comme cette Coupe du monde en France, il faut en faire le deuil. Ça a l’air con, dit comme ça. Il est grave, ce mot. Mais il faut faire le deuil. Il faut analyser, diagnostiquer, faire des réunions de travail avec ton groupe. «Pourquoi on a perdu ?», «Comment on a perdu ?», «Qu’est-ce qu’on va faire maintenant pour gagner la prochaine Coupe du monde ?», C’est très important de refermer la plaie en débriefant, c’est une preuve de force. Il ne faut pas faire d’enfumage.
L’enfumage, ce sont les prises de parole de Fabien Galthié ? Le diagnostic a-t-il été suffisant selon vous ?Là où Fabien s’est un peu trompé au départ, c’est quand il a fait son debrief à la presse. Il l’a fait pour la presse, c’était de l’externe. Mais avant l’externe, c’est l’interne qu’il faut soigner, c’est avec ton équipe qu’il fallait faire le diagnostic. C’est le plus important pour repartir sur de bonnes bases. Pour la santé mentale de tes 30 gars, il faut repartir avec du concret. Quand tu es compétiteur, un tel échec peut t’atteindre au-delà de la performance, ça peut te toucher mentalement aussi.
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Les Bleus vous ont-ils rassuré en gagnant au pays de Galles ?Ils ont fait un très beau match, ça remarche bien. Mais attention, ce pays de Galles est à 20% de sa reconstruction. Pas étonnant que tu tapes un record en gagnant là-bas. Mais au moins, t’as fait preuve de caractère après l’échec face à l’Italie.
Et face à l’Irlande…Oui, mais même en ayant digéré l’échec de la Coupe du monde, je ne sais pas s’ils auraient gagné contre l’Irlande. J’ai été objectif et cool avec eux après cette défaite. Je ne crache pas sur le XV de France. J’ai porté le maillot et ça me cassait les c… d’entendre les anciens critiquer alors qu’un an avant ils étaient encore avec nous.
Vous qui avez souvent parlé de santé mentale dans le rugby, comment avez-vous réussi à rebondir après vos deux Coupes du monde, en 2011 et 2015 ?En 2011, la Coupe du monde est quand même réussie parce qu’on va en finale. On perd d’un point (8-7 contre la Nouvelle-Zélande), même si le parcours n’a pas été simple. J’ai le sentiment qu’on a rendu les Français très fiers et, quand on est revenu, il y avait une grosse émulation autour de nous. Quand je suis rentré en club, j’étais encore plus motivé, j’avais pris un autre statut. J’ai très bien digéré. Celle de 2015, on a pris une branlée en quart de finale contre les All Blacks (62-13). Mais j’avais annoncé que j’arrêtais l’équipe de France après la Coupe du monde, donc c’était fini pour moi peu importe le résultat. Je me disais qu’il me restait 2-3 ans à faire au Stade français et que j’allais prendre du plaisir. J’avais déjà basculé dans un autre état d’esprit, je voulais travailler fort et bien finir ma carrière. Je n’ai pas eu ce deuil à faire d’une Coupe du monde.
En tant qu’ancien deuxième-ligne, comment avez-vous trouvé la première sélection d’Emmanuel Meafou ?Il est vraiment taillé pour le niveau international. J’en étais sûr, mais en plus il a un profil atypique. Il est grand, il se déplace bien, il est capable de faire beaucoup jouer après lui. Il va vite, mine de rien. Il est mobile. C’est un peu le même profil que le deuxième-ligne australien de La Rochelle, Will Skelton. T’en as trois dans le monde, des comme ça. On a la chance d’en avoir un, c’est top. Maintenant, quand t’as un deuxième-ligne comme ça – et c’est là que le mot «attelage» prend tout son sens – t’es obligé d’avoir un Flament pour que Meafou puisse briller. L’équilibre est juste incroyable. D’un côté tu as Flamant qui est une sorte de deuxième-ligne «de rupture» comme Marc Liévremont disait de Fulgence Ouedraogo, à l’époque. C’est-à-dire un mec capable d’être au soutien d’un centre après une percée. Flament, c’est un décathlonien, il couvre tout le reste du terrain. Il saute en touche, il est très bon avec le ballon, il est constamment en activité. Ça permet à Meafou de faire des gros nettoyages, de porter fort le ballon, peser sur la défense, casser des mauls.
Quelle est votre référence mondiale en deuxième ligne ? L’Anglais Maro Itoje, qui défie les Bleus samedi à Lyon ?Les gens vont me trouver un peu dingue, mais Flament n’est pas loin d’être ma référence. Vraiment. Il a quoi à envier à Itoje ? Et je le trouve encore meilleur en sélection qu’à Toulouse. Il est taillé pour l’international.
Votre meilleur souvenir dans un Crunch ?C’est le France-Angleterre en «finale» du Tournoi 2004. Le vainqueur remportait la compétition, et on pouvait en plus faire le Grand Chelem. En face, c’était l’équipe championne du monde en 2003. C’était seulement ma cinquième sélection, j’avais joué tous les matches titulaires dans ce Tournoi. Premier Tournoi, premier Grand Chelem. On gagne 24-21 devant un Stade de France euphorique, et derrière on fait une super bringue. Toute ma famille était montée. Je n’ai pas dormi de la nuit, je suis rentré le lendemain chez moi, j’ai repris le train. C’était exceptionnel.
Le pire ?Je n’en ai pas. Je me suis tellement fait plaisir à essayer de leur casser la gueule chaque fois que je jouais contre eux (rires)… Ça a toujours été génial de les affronter, c’est le «derby» de l’hémisphère nord.