L’exposition qui s’ouvre aujourd’hui à la Bourse de Commerce, Le Monde comme il va, se tient jusqu’au 2 septembre à Paris. Les expositions «Pierre Huyghe» et «Julie Mehretu» complètent l’univers du collectionneur François Pinault dans la Cité des doges, alors que la 60e Biennale de Venise ouvrira le 20 avril.

LE FIGARO. – Comment le monde va-t-il, à vos yeux?

Avec sensibilité, avec audace, avec souvent une impressionnante prémonition, les artistes savent mettre le doigt «là où ça fait mal». À travers leurs œuvres, ils nous interrogent, nous bousculent, nous font prendre conscience de nous-mêmes, des autres, et des grands enjeux de notre temps.

À lire aussi«Avant l’orage» à la Bourse de Commerce: quand les artistes se lâchent sur la nature

En reprenant le titre d’un conte philosophique de Voltaire, Le Monde comme il va, l’exposition nous invite aussi à considérer qu’il appartient cependant à l’humanité, quand tout ne va pas bien, de faire en sorte que les choses aillent mieux, ne serait-ce qu’en tentant de remettre en cause certains de ses préjugés et ses certitudes.

Ce qui frappe au fil des expositions de votre collection – du Musée d’Essen, en Allemagne, à Venise, de Rennes à la Bourse de Commerce -, c’est l’omniprésence de la violence et de la mort. Pourquoi ce choix?

Ma collection ne peut pas se réduire à cette seule thématique, comme l’a montré l’exposition «Icônes», à la Pointe de la Douane, ou le montrera, en octobre, à la Bourse de Commerce, l’exposition «Arte Povera». Cela dit, pour qui s’intéresse à la création artistique et plus particulièrement à celle de notre époque, il est difficile d’échapper à cette thématique qui, vous en conviendrez, est une vieille compagne des artistes de tous les temps. On n’a qu’une seule certitude, on sait qu’on va tous mourir.

Cette question ne cesse de ce fait d’interroger, si ce n’est de hanter, l’humanité, de la préhistoire à nos jours. Elle interpelle les philosophes, les écrivains, les artistes, les scientifiques, les êtres humains depuis toujours. Les grands drames de l’époque contemporaine et les réalités brutales de l’actualité nous ramènent également à la question si abrupte non seulement de cette violence que les hommes subissent du fait de leur condition naturelle mais des violences qu’ils s’infligent les uns aux autres par la démesure de leur désir de domination. L’art en témoigne aujourd’hui, comme à l’époque de Picasso ou de Goya, de façon lucide et magistrale. Il est inévitable qu’une collection qui se veut une collection de son temps soit attentive à cet enjeu.

Quels sont les ressorts qui ont guidé votre vision de l’art contemporain?

Le ressort principal de mon désir de collectionner a été la passion. D’année en année, mon goût est devenu plus singulier. Contrairement à une collection publique, je ne me suis jamais imposé une sorte de devoir d’exhaustivité ou de prétendue objectivité à l’égard de la scène artistique, mais je me suis toujours fié à la fois aux sentiments que pouvaient m’inspirer les œuvres et à la recherche de l’excellence. En tant que collectionneur, je dispose de cette très grande liberté. Je tiens à la partager de façon à permettre au plus grand nombre de mesurer la richesse et la diversité de la création contemporaine.

Avez-vous des regrets? Des artistes que vous avez cessé d’aimer? D’autres qui vous ont échappé?

Je collectionne depuis plus de cinquante ans. Le collectionneur que je suis aujourd’hui est donc, par la force des choses, différent de celui que j’ai été, parce que tout simplement mon regard évolue en permanence. Les premières œuvres que j’ai achetées me tiennent cependant, pour certaines, toujours compagnie avec bonheur. Je vais même vous faire la confidence que j’ai récemment acheté une œuvre d’un des tout premiers artistes auxquels je me suis intéressé au début de mon activité de collectionneur, un important artiste de l’école de Pont-Aven.

À lire aussiExposition au Musée d’Orsay: «En accordant la primauté au rendu de la sensation dans leur art, les impressionnistes ont donné à la peinture de paysage un autre statut»

Ce que j’aime, dans l’acte de collectionner, c’est de pouvoir entretenir avec certains artistes de très longs compagnonnages, de façon que ma collection témoigne de toute la richesse et de l’évolution de leur travail. C’est la raison pour laquelle je ressens une joie immense quand le public découvre des artistes dont le travail me passionne, soit depuis de nombreuses années, comme Martial Raysse, David Hammons, Sigmar Polke ou Marlene Dumas, pour ne citer qu’eux ; soit de plus jeunes artistes comme Danh Vo, Anne Imhof ou Pol Taburet, qui créent aujourd’hui les chefs-d’œuvre de demain.

En quoi votre appartenance bretonne a-t-elle orienté votre parcours?

La Bretagne ne m’a jamais quitté. Je ne manque jamais, pour les grandes occasions, de faire hisser à Venise, au Palazzo Grassi et à la Pointe de la Douane, la bannière bretonne, le «Gwenn ha du», à côté de la bannière de saint Marc, naturellement.

De nombreux liens continuent de m’attacher à ma région d’origine, où ont commencé ma vie professionnelle et mes premiers pas de collectionneur. J’en aime l’esprit de résistance et l’audace. Les Bretons savent regarder vers le large tout en étant profondément enracinés.

Comme vous le savez, je suis très engagé dans la préservation du patrimoine architectural et environnemental breton. Pour ne citer qu’un exemple récent, l’an dernier, j’ai ainsi pu prendre en charge la restauration de la chapelle de Saint-Michel de Brasparts, dans les monts d’Arrée. Sur le plan sportif, chacun connaît l’engagement passionné de ma famille et moi-même pour le Stade Rennais.