Même les observateurs avisés devront se mouiller la nuque samedi soir, entre 20h et 21h, au moment de parcourir des yeux la feuille de match de France-Allemagne. Rarement la Mannschaft a été autant constituée de joueurs inconnus du grand public, et seuls les experts du football allemand savent à quoi s’attendre avec Deniz Undav, Waldemar Anton ou encore Maximilian Mittelstädt, trois des six nouveaux convoqués par le sélectionneur Julian Nagelsmann.
«Bouleversement est un petit mot pour désigner ce que Nagelsmann est en train de faire à l’équipe nationale», a écrit le quotidien Der Spiegel à la suite de l’annonce de la liste des 26 joueurs la semaine dernière. Plus que les nouveaux, ce sont les absents qui font parler. Mats Hummels (78 sélections), Leon Goretzka (57) et Serge Gnabry (45) sont restés à la maison. Nagelsmann a brandi deux arguments pour se justifier.
D’abord, le jeune (36 ans) entraîneur donne la priorité à la forme du moment, pas aux statuts. D’où les présences inédites d’Aleksandar Pavlovic (Bayern Munich, 19 ans), Maximilian Beier (Hoffenheim, 21 ans) et Jan-Niklas Beste (Heidenheim, 25 ans). «Julian « je ne me base que sur les performances » Nagelsmann», a taquiné le quotidien Bild.
L’autre raison, c’est qu’aux yeux du coach allemand, c’est que ces vedettes ne sont pas compatibles avec le statut de remplaçant. «Nous avons eu à l’esprit d’autres joueurs pour lesquels nous pensons que cela fonctionne mieux. Le problème est de ne pas toujours trouver les meilleurs joueurs, mais ceux qui correspondent le mieux aux rôles», a développé Nagelsmann.
Nommé sélectionneur le 22 septembre, deux semaines après le limogeage d’Hansi Flick et une humiliante défaite face au Japon (1-4), Nagelsmann tâtonne. Il a récupéré une Mannschaft traumatisée par l’élimination au premier tour de la Coupe du monde 2022 au Qatar, comme ce fut déjà le cas en 2018 en Russie. Un chantier à neuf mois de l’Euro 2024 à la maison. Sous sa houlette, l’Allemagne a d’abord battu les États-Unis (1-3), a calé au Mexique (2-2) et a surtout perdu face à la Turquie (2-3) et l’Autriche (2-0). «La joie anticipée ou l’euphorie ne sont guère perceptibles jusqu’à présent avant le tournoi à domicile», a encore écrit Bild ce week-end.
Au-delà des choix de joueurs courageux qu’a entrepris Nagelsmann, il y a eu des expérimentations au niveau tactique. L’ancien entraîneur de Leipzig et du Bayern Munich a brièvement testé un 4-2-3-1 auquel Flick restait souvent fidèle. Il s’est vite orienté vers une défense à trois avec Kai Havertz, milieu offensif de formation, comme piston ou latéral gauche. «À 24 ans, Kai Havertz joue comme arrière gauche dans son pays ? Sérieusement ? C’est un manque total de respect», a commenté l’ancien défenseur français et d’Arsenal, William Gallas, à propos du joueur des Gunners.
Nagelsmann a depuis confirmé qu’Havertz ne sera pas reconduit à ce poste. «Mais ce n’était pas un échec, il a fait deux très bons matches», a-t-il soutenu. «Il ne s’agit pas de jouer à 3 ou à 4 derrière, ni de savoir si Kai Havertz a joué défenseur gauche. Il s’agit de ces 5 ou 10% de passion, de dynamisme et d’énergie qui nous manquent. Il nous manque ces valeurs allemandes», a souligné Rudi Völler, directeur sportif de la Mannschaft.
Pour retrouver ces qualités, Nagelsmann s’appuie encore sur de vieux briscards, comme les champions du monde 2014 Manuel Neuer, Toni Kroos et Thomas Müller, et donc sur une jeunesse en manque de repères au plus haut niveau. «Il faut montrer notre unité et que chacun soit conscient de son rôle, a tracé Nagelsmann. Et si nous y parvenons bien, je suis convaincu que nous ferons un très, très bon Euro.» Le match face aux Bleus s’inscrit dans cette quête de la montée en puissance. L’Allemagne essaye de le cacher, mais elle ne l’ignore pas : il y a urgence.