C’est la deuxième fois en un peu plus d’un an qu’un président quitte précipitamment le pouvoir au Vietnam, pays au régime politique habituellement stable. Le Parlement a approuvé jeudi la démission de Vo Van Thuong, qui aurait quitté le pouvoir pour des « violations et manquements » aux règles du Parti selon les médias d’Etat. Ses « lacunes ont eu un impact négatif sur l’opinion publique, affectant la réputation du parti, de l’Etat et de lui-même », a ajouté le gouvernement. Si la nature de ces fautes n’a pas été précisée, cette rhétorique est souvent utilisée pour désigner la corruption.
Vo Van Thuong avait commencé son mandat de président du Vietnam il y a à peine un an, en mars 2023, après le départ brutal de Nguyen Xuan Phuc, alors visé par les mêmes accusations. Ces événements surviennent dans un contexte de vaste campagne anticorruption lancée en 2016. Depuis, de nombreux membres des élites politiques et économiques sont tombés. Plus tôt dans le mois, plusieurs hauts responsables de la province Quang Ngai ont été arrêtés pour corruption, et deux procès pour fraude impliquant de riches chefs d’entreprises se sont ouverts.
Mais dans un pays où des militants des droits humains sont régulièrement emprisonnés, des voix s’élèvent dans la société civile pour demander si la campagne anticorruption ne sert pas en réalité à réaliser des purges politiques et à verrouiller davantage les libertés dans le pays. Le système politique vietnamien repose sur « quatre piliers » : le secrétaire général du Parti communiste, le président, le président du Parlement et le Premier ministre. Le rôle du chef de l’État est surtout cérémoniel, et le réel homme fort du régime est le chef du Parti, Nguyen Phu Trong. Il est à l’origine de la campagne anti-corruption, qu’il a entamé en jurant qu’il se débarrasserait des « mauvaises racines » du Parti.
Mais Trong a aujourd’hui 79 ans et la santé fragile. À 53 ans, le président Thuong était l’un des plus jeunes cadres de l’appareil d’Etat vietnamien, et était considéré comme l’un des potentiels successeurs du chef du Parti, qui l’avait recommandé pour le poste. Pour Benoît de Tréglodé, directeur du domaine Asie à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM), les dynamiques intrapartisanes sont probablement la raison du départ de Vo Van Thuong. Désormais désavoué politiquement, son poste a été repris par la vice-présidente Vo Thi Anh Xuan, qui assure la présidence par intérim jusqu’à ce que le Parlement choisisse un nouveau chef de l’État.
Ces démissions successives risquent surtout de mettre à mal l’économie du pays. Le Vietnam a eu l’une des croissances les plus rapides d’Asie et compte principalement sur les investisseurs étrangers. Le pays avait réussi à tirer parti des rivalités entre la Chine et les États-Unis, en faisant l’équilibriste entre les deux superpuissances. Le président Thuong a ainsi rencontré à la fois Joe Biden et Xi Jinping pendant son court mandat. Le Vietnam a également profité des importantes restrictions en Chine liées au Covid, les fabricants internationaux optant pour le Vietnam comme alternative. De grandes entreprises comme Adidas et Nike se sont tournés vers ce pays pour fabriquer leurs produits.
Avec un Parti communiste qui gouverne seul depuis presque cinquante ans, c’est la stabilité politique qui attirait surtout les investisseurs, mais la nouvelle démission fragilise cet argument. « Le simple fait que deux présidents aient démissionné en moins de deux ans n’est pas un signe positif pour un pays souvent salué pour sa stabilité politique », observe dans le New York Times Nguyen Khac Giang, chercheur vietnamien invité à l’Institut ISEAS-Yusof Ishak de Singapour. À la suite des premières rumeurs sur le futur départ de Vo Van Thuong, la bourse de Ho Chi Minh, la principale du pays, a chuté de 3% lundi.