Cela a valu à son équipe de football l’annulation d’un match qualificatif pour le Mondial 2026 qui devait se tenir en Corée du Nord. Le Japon connaît actuellement une forte recrudescence d’infections potentiellement mortelles causées par une bactérie, le streptocoque du groupe A. Ces trois derniers mois, 517 cas d’infection invasive sévère due à cette bactérie ont ainsi été recensés dans le pays, selon le Centre de surveillance des maladies infectieuses de la métropole de Tokyo. C’est plus que la moitié des cas qui y sont habituellement enregistrés sur une année entière. La nouvelle, très relayée par les médias internationaux, fait resurgir depuis plusieurs semaines la crainte d’une nouvelle pandémie. Qu’en est-il ? Réponse avec une spécialiste.
La bactérie incriminée n’a en réalité rien de spécifique au Japon. «C’est une bactérie commensale de la gorge, spécifique de l’espèce humaine, surtout présente chez les enfants», décrit le Dr Asmaa Tazi, bactériologiste à l’hôpital Cochin à Paris (APHP) et responsable du centre national de référence des streptocoques. On la retrouve donc aussi bien au Japon que dans tous les pays d’Europe. Sa force réside dans sa capacité à se faire discrète. Sur une classe de 30 élèves, on estime ainsi qu’environ 10% sont porteurs de cette bactérie sans le savoir. La plupart ne tomberont d’ailleurs pas malades, même si cela peut arriver. «Le streptocoque du groupe A est un grand pourvoyeur de maladies bénignes. L’angine en est la manifestation la plus banale, mais elle peut aussi provoquer la scarlatine et l’impétigo », poursuit la scientifique.
Inoffensive l’immense majorité du temps, cette bactérie – qui se transmet principalement par gouttelettes respiratoires – peut aussi se révéler redoutable. Pour des raisons mal connues, il arrive qu’elle parvienne à atteindre le sang, conduisant à des infections invasives très sévères, voire mortelles. Suivant les cas, elle peut alors s’attaquer à la peau et entraîner sa nécrose (d’où son surnom de «bactérie mangeuse de chair»), mais aussi aux poumons, au cœur ou encore au cerveau. Ces formes graves, très rares, peuvent se compliquer d’un syndrome de choc toxique streptococcique (SCTS) dû à la production d’une toxine. Celui-ci est mortel dans plus de 40% des cas, malgré les traitements.
«Elle n’est pas résistante aux antibiotiques, d’ailleurs elle est très sensible à un antibiotique de base, l’amoxicilline», explique le Dr Tazi. C’est sa rapidité qui la rend particulièrement létale dans les cas d’infection invasive. «L’infection est tellement fulminante qu’elle provoque la défaillance de plusieurs organes sans que l’on ait le temps de réagir. C’est particulièrement le cas de la souche M1 qui a été décrite au Japon», complète le médecin. Fait particulièrement préoccupant : ces infections invasives surviennent sur des personnes de tout âge, sans facteur prédisposant. « Les nourrissons, les personnes âgées ou immunodéprimées, les personnes atteintes de diabète ou d’un cancer ou encore les femmes enceintes sont quand même des populations plus à risque, mais les formes graves peuvent aussi toucher des personnes en bonne santé », précise la bactériologue.
La situation au Japon est-elle inédite ? Pas vraiment. En réalité, la France ainsi que plusieurs autres pays européens ont connu une situation similaire il y a un peu plus d’un an. Fin 2022, les autorités sanitaires françaises ont même émis plusieurs alertes, sans que cela n’inquiète les médias internationaux. «Depuis septembre 2022, il est observé en France une augmentation des cas d’infections non invasives à Streptocoque du Groupe A comme les scarlatines mais également des infections invasives, en particulier chez les enfants», alertait la Direction générale de la Santé (DGS) le 15 décembre 2022. Un phénomène «partagé à l’échelle européenne» : «le Royaume-Uni, l’Irlande, les Pays-Bas, la Suède… rapportent également une augmentation du nombre de cas», indiquait la DGS.
«Le pic des infections a eu lieu entre décembre 2022 et janvier 2023», rapporte le Dr Asmaa Tazi. Au premier trimestre 2023, 1152 cas graves avaient ainsi été signalés en France, soit dix fois plus qu’au premier trimestre 2022, selon les données transmises au Figaro par le Centre national de référence des streptocoques. Cela représentait alors 17 cas pour 1 million d’habitants. Pire que ce que connaît le Japon actuellement (4 cas pour 1 million d’habitants) ! Et encore, la surveillance en France n’est pas exhaustive. «Nous estimons que les cas déclarés ne représentent que 20 à 40% du total», indique le Dr Tazi, qui souligne que ces infections ne font pas l’objet d’une déclaration obligatoire de la part des hôpitaux.
Désormais, les choses semblent être rentrées dans l’ordre. «Depuis le début de 2023, nous observons une décroissance régulière, il n’y a plus d’alerte particulière en Europe», poursuit le Dr Tazi. A posteriori, les médecins expliquent cette hausse soudaine par les restrictions sanitaires en vigueur pendant la pandémie de Covid-19. «Les pathogènes ont moins circulé pendant cette période. La population a été moins en contact avec eux, le système immunitaire de chacun a été moins stimulé», analyse le médecin. C’est ce que les spécialistes appellent la théorie de la dette immunitaire.
Le Japon semble donc connaître une situation similaire à celle vécue en Europe, avec un an de retard. «Peut-être que la levée des mesures sanitaires contre le Covid a été plus tardive que chez nous ?», s’interroge le Dr Tazi. Reste que le risque d’une nouvelle pandémie semble pouvoir être écarté.