Beyoncé, reine de la pop mais aussi de la country. «À Music City, avec des rêves et des bottes à talons hauts, chantant pour une foule aux yeux bleus, voudront-ils aussi de moi ?», Julie Williams, celle qui fredonne ce couplet à Nashville, capitale américaine de la country, est une femme métisse. Sur scène, l’artiste de 26 ans parle de son enfance dans un sud des États-Unis toujours hanté par le passé esclavagiste, et raconte son combat pour s’imposer dans cette ville du Tennessee où les carrières se font ou se défont par des hommes blancs.

C’est la sortie vendredi d’un album country par l’une des plus grandes stars du moment, Beyoncé, qui refait la lumière sur la longue histoire des artistes noirs dans ce genre musical extrêmement populaire aux États-Unis. «Qui a hâte de découvrir le nouvel album country de Beyoncé ?, crie Julie Williams, sous les applaudissements. Est-ce dont ça qu’ont ressenti toutes les filles blanches pendant tout ce temps ?» Elle poursuit : «Quand on voit quelqu’un qui est au sommet de son art et qui déchire tout, on se dit “waouh, ça pourrait être moi”, c’est génial». La sortie très attendue de l’album Cowboy Carter de Beyoncé est tout simplement un «moment historique» pour propulser «la country noire», confie la chanteuse à l’AFP dans les coulisses.

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Julie Williams fait partie des 200 membres du Black Opry, un collectif créé il y a trois ans pour porter la voix d’artistes noirs dans des genres souvent perçus comme réservés aux artistes blancs, de la country à la folk. «J’ai toujours été une grande fan de musique country et je me suis toujours sentie isolée», confie Holly G, fondatrice du collectif, se disant pas assez «représentée», «surtout en tant que femme noire et queer». «Ni chez les artistes, ni chez les fans, ni dans le marketing», reprend-elle. «Quand j’ai commencé Black Opry […] j’ai réalisé qu’on était tous là, mais qu’on n’avait juste pas la même plateforme ni les mêmes opportunités que nos collègues blancs», conclut Holly G.

Le nouvel album de Beyoncé pourrait faire évoluer les choses, estime Charles Hughes, auteur d’un livre sur la country et les questions raciales dans le sud des États-Unis. Les gens se disent «cool, Beyoncé se met à faire de country, voici un tas d’autres artistes à écouter, dit à l’AFP le chercheur de Memphis. Lorsque nous commencerons à voir les choses changer en coulisses, l’effet du moment Beyoncé se fera ressentir.»

La country est un style musical qui puise dans les racines afro-américaines des États-Unis : le banjo, par exemple, fait partie des instruments apportés par les esclaves africains déportés aux Amériques et aux Caraïbes dans les années 1600. Pourtant, les artistes noirs ont été historiquement tenus à l’écart du genre musical et la country contemporaine garde une image de musique blanche, machiste et conservatrice.

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Au tournant du 20e siècle, avec l’avènement des hit-parades, l’industrie musicale catégorise même les genres populaires: la country pour les blancs, le R’n’B pour les noirs. «Cette séparation initiale était fondée uniquement sur la couleur de la peau, et non sur la musique», souligne Holly G. Et ces étiquettes persistent. «La chanson peut sonner exactement pareil et on me dit que ce n’est pas de la country, ironise Prana Supreme, membre de O.N.E. The Duo, un groupe de musique country. Et je me dis “hmm, quelle est la seule différence ?”»

Beyoncé n’a elle-même pas échappé au conservatisme de la country. La native du Texas a dit récemment avoir l’espoir que dans les prochaines années, la référence à la couleur de peau ou l’origine ethnique d’un artiste «n’aura plus lieu d’être». Pour Prana Supreme, le moment country de Beyoncé, qu’elle qualifie d’«iconoclaste», permettra aux artistes comme aux fans afro-américains de se réapproprier ce genre. «La culture du sud est une culture noire», fait-elle valoir.

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Trea Swindle, membre du groupe country Chapel Hart estime aussi que Beyoncé «ouvre la musique country à un tout nouveau public». «Chéri, va à Poplarville, dans le Mississippi, que tu sois noir, blanc, asiatique, hispanique, c’est Poplarville, et tu vivras cette expérience de la country», s’amuse-t-elle. Mais Holly G se veut prudente, estimant que Beyoncé pourrait rester l’exception en raison de sa stature hors norme. «C’est parce que l’industrie est intimidée par Beyoncé, pas parce qu’elle est prête à soutenir les femmes noires», conclut-elle.