Au sujet de Macbeth, le shakespearien Stephen Greenblatt dit ceci : « Près de quinze ans après avoir écrit Richard III, Shakespeare revint à sa vision de la personnalité perverse qui est à la fois le moteur et le fardeau du pouvoir tyrannique. Maculé de sang depuis l’assassinat perfide du roi Duncan jusqu’à sa fin lamentable et désespérée, Macbeth est le tyran le plus connu et le plus mémorable qu’a créé Shakespeare. » Mais Macbeth traîne la réputation d’être une des pièces les plus difficiles à mettre en scène, d’être même injouable, selon certains, et le spectateur, tout ébloui par le souvenir d’une lecture explosive, n’éprouve souvent que déception après la représentation. Pire, cette tragédie porterait, dit-on, la poisse. Qu’en est-il de l’adaptation de Silvia Costa à la Comédie-Française avec dans le rôle-titre Noam Morgensztern et dans celui de sa femme cinglée, Julie Sicard ?
Elle est là, la cinglée Lady Macbeth en robe couleur rouge devant le rideau baissé, assise sur une chaise, chevelure rousse recouvrant son visage alors que le public s’installe dans la salle Richelieu. Au-dessus de la folle ambitieuse – ses mains semblent atteintes d’inquiétants tics nerveux –, un tableau représentant son général de mari se met soudain à tourner comme un moulin à vent. Le portrait sera bientôt lacéré de coups de couteau prémonitoires. Lady Macbeth arrache des touffes de sa perruque, se lève et déclare, parlant de son pleutre époux : « Tu es comte de Glamis et de Cawdor, et tu seras aussi ce qu’on t’a prédit… » On entend des voix. Fin de la première scène, qui est en fait la cinquième.
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Le rideau rouge se lève ; descend des cintres une imposante couronne dorée sur laquelle sont gravés ces quelques mots : « Ante faciem tuam ibi mors » (« devant ton visage, il y a la mort »). Ce Macbeth se jouera dans une atmosphère à l’austérité quasi-tradi catho. Entre alors, d’un pas lent, le roi d’Écosse, Duncan (Alain Lenglet, qui, toujours, en impose), vêtu d’une robe de style victorien. Il semble statufié, déjà embaumé. Les Sorcières (les sœurs fatales interprétées par Suliane Brahim, Birame Ba et l’incroyable et désopilante Jennifer Decker) débarquent par la droite poussant une roue qui rappellerait celle qu’on utilisait pour les supplices. Trois chemises blanches y sont accrochées. La roue, comme le tableau du début, se met à tourner : impression bluffante d’un fantôme qui vole. Cette roue est une des meilleures idées scénographiques de ce spectacle avec la majestueuse et froide façade d’une cathédrale gothique.
Un fond musical dodécaphonique accompagne tout le spectacle. Des échos de voix, cris d’enfants, vous clouent au fauteuil. Lady Macbeth est la reine du crime et on n’aimerait pas la croiser une nuit sans lune. Elle connaît bien la nature de son mari, « trop pleine du lait de l’humaine tendresse », et craint qu’à ce poltron ne manque cette paire de cojones qui sied au vrai tyran. Noam Morgensztern – qui, au début, porte la soutane ! – incarne un Macbeth bourré d’angoisses sexuelles, réduit parfois à un nourrisson qui réclame sa tétine, qui chiale dans les jupons de sa femme nourricière. Mais lorsqu’il enchaîne les crimes – le meurtre de son vieil ami Banquo (Clément Bresson) l’a libéré de son impuissance -, Macbeth, devenu paranoïaque, est passé maître dans l’art de la tromperie. À partir de ce moment clé, Morgensztern donne enfin tout ce qu’il a dans le ventre. Quant à Lord Macduff (Pierre Louis-Calixte, visage christique), il est habillé de la robe blanche du messie. Né par césarienne, Macduff aura la tête de Macbeth, tyran dès le début condamné.
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Cette tragédie, une des pièces les plus enlevées, effervescentes – une des plus courte, aussi – de Shakespeare, manque sérieusement, sous la direction de Silvia Costa, de nerf. Sa vision abstraite et confuse manque de rythme, s’égare dans les chemins d’une obscure forêt. Nous avons la triste impression que le texte du barde, d’une insolente perfection (excellente traduction d’Yves Bonnefoy), dépasse le projet de la metteuse en scène et, par ruissellement, embourbe les comédiens – malgré quelques morceaux de bravoure de Julie Sicard lorsqu’elle perd définitivement la boule.
Si la condition humaine est la source d’une intolérable claustrophobie, alors cette mise en scène sous Lexomil a royalement atteint son but, mais n’a nullement satisfait notre désir qui était de nous (re)plonger dans ce monde plein de bruit et de fureur chanté par Shakespeare, le plus grand poète de nos temps de détresse.
Macbeth . À la Comédie-Française, jusqu’au 20 juillet. Tél.: 01 44 58 15 15.